- Numéros publiés en 2013
- Février 2013
- Simon-Pierre Savard-Tremblay
Les souverainistes et la mondialisation : l’enthousiasme internationaliste
Nous apprenions récemment que le gouvernement Marois appuyait l’idée du libre-échange avec l’Union européenne et envisageait la signature d’un accord. La première ministre a d’ailleurs laissé tomber que son gouvernement pourrait mettre des bâtons dans les roues d’Ottawa si l’entente canado-européenne en venait à ne pas convenir aux exigences de l’État québécois, tout en rappelant que la capacité ultime de signer des traités de la sorte ne revient exclusivement qu’au gouvernement fédéral.
Le ministre Jean-François Lisée a également affiché son enthousiasme pour la possibilité d’un accord entre le Canada et l’Inde afin de favoriser la pénétration du marché indien par les investisseurs québécois, estimant que les tarifs et les douanes présentement en place coupaient l’approvisionnement possible au Québec par certaines entreprises situées en Inde, à l’instar de Bombardier.
L’actualité nous fournit ainsi l’occasion de retracer l’évolution du rapport des souverainistes avec le phénomène de la mondialisation depuis, au fond, l’existence même de ce phénomène, qui a débuté avant même que le mot ne soit répandu, lorsqu’on parlait au départ de libre-échange avec les États-Unis.
En retraçant les grandes étapes de notre conversion progressive à cet immense mouvement qu’est la mondialisation, on peut en venir à distinguer trois périodes :
- la première, qu’on qualifiera de « libre-échangiste » ;
- la seconde, qui débute après le référendum de 1995, que nous appellerons « mondialisante » ;
- la troisième, qui double la seconde sur sa gauche, qu’on nommera « altermondialiste », débutant au tournant des années 2000.
Le libre-échangisme des souverainistes
Aux débuts du PQ, la question de l’internationalisation des échanges n’était très certainement pas des plus actuelles, mais cela n’empêchait pas que certains péquistes se soient faits les pionniers de cette option. René Lévesque montrait d’ailleurs son ouverture et son intérêt pour un tel modèle dès les premières années du parti. D’ailleurs, Lévesque, de par son parcours de journaliste international, ancrait lui-même sa pensée politique à travers la lecture de l’évolution mondiale.
Pour le PQ – à cette époque –, l’adhésion à la nouvelle économie pouvait sembler être un virage difficile. On se rappelle que le PQ était alors traversé par des courants antiaméricains, antiimpérialistes et même anticapitalistes qui n’étaient pas marginaux en son sein. Le premier programme du PQ prônait même la non-adhésion à l’OTAN du Québec indépendant à venir, lequel devait plutôt se doter d’un corps de paix. Inutile de dire que la conversion à la marchandisation de l’économie ne semblait pas aller de soi dans un tel parti politique. Pourtant, cette conversion que Parizeau surnommait « virage à 180 degrés » ne s'est pas révélée aussi complexe à réaliser qu’elle pouvait sembler l’être au départ, dans la mesure où les circonstances mondiales et internes ont été favorables. Ce virage, il fut essentiellement la réussite de deux hommes : Jacques Parizeau et Bernard Landry.
Il faut se rappeler que les fédéralistes, lors du référendum de 1980, ont joué abondamment sur les peurs économiques des Québécois. On se rappelle des fameuses pensions de vieillesse, devenues un symbole marquant de notre imaginaire collectif dans le cadre du premier référendum. Parizeau et Landry, deux économistes chevronnés connaissant le milieu de la finance – on se rappelle par exemple des négociations de Parizeau à New York qui avaient permis la nationalisation de l’hydroélectricité en 1962 -, se sont alors promis de désamorcer à jamais le chantage économique d’Ottawa, pour que tout ministre fédéral des Finances qui agiterait la menace d’une perte d’un million d’emplois n’ait aucune crédibilité lors du référendum suivant.
Évidemment, la conversion au libre-échange pouvait donner une image moderniste à un parti parfois encore taxé d’extrémisme de gauche malgré un programme modérément social-démocrate.
Mais plus encore, le but était bien entendu de sortir le Québec du cadre économique canadien, dont le centre de gravité se trouvait à Toronto, lequel enfermait étroitement notre économie nationale.
Les fondements théoriques de l’approche libre-échangiste des souverainistes sont exposés dans un livre qui a eu à l’époque une importance majeure au sein des milieux d’affaires : Commerce sans frontières, écrit par Bernard Landry et préfacé par Jacques Parizeau.
Revenons brièvement sur le cas de Bernard Landry. Landry avait entrepris des études en économie à l’Institut d’études politiques de Paris où il eut comme professeurs Raymond Barre futur ministre des Finances et premier ministre de la République. Ses enseignements avaient été marquants pour le jeune Landry, qui était en France en 1957 lors de la signature du traité de Rome, premier jalon de la construction européenne. L’étudiant qu’il était à l’époque en restera fasciné durablement.
Dans Commerce sans frontières, Landry explique les bénéfices, pour le Québec, de l’ouverture des marchés et de la libre circulation des capitaux avec nos voisins du sud. Dans sa préface au livre de Landry, Parizeau décortique quant à lui l’essence même de la politique économique canadienne : parce que fondé sur la construction d’un chemin de fer visant l’union des marchés des différentes colonies britanniques et basé sur les tarifs et les douanes, le protectionnisme est intimement lié au fonctionnement même du Canada et ne pourra jamais dès lors laisser au Québec l’espace dont il a besoin pour entretenir des relations commerciales dignes de ce nom avec ses voisins.
Pour les souverainistes, il faut donc dès lors renverser les axes d’échange afin que les exportations du Nord vers le Sud soient désormais plus importantes que celles qui s’effectuent de l’Est vers l’Ouest. On peut dire, avec le recul, que sur ce plan le pari libre-échangiste des souverainistes a été gagné.
Plus encore, pour les souverainistes, il fallait détruire le caractère indispensable du partenariat économique postindépendance avec le Canada. En 1980, Trudeau avait affirmé qu’il refuserait de négocier une quelconque association avec le Québec en cas de victoire du « oui » au référendum. Par le libre-échange, Parizeau préparait donc, en quelque sorte, sa question « dure » de 1995 – laquelle affirmait le caractère exécutoire du référendum, soit que le Québec deviendrait indépendant même en cas d’échec des négociations avec le Canada.
À la lumière de ces motivations, l’adhésion aux principes de la libéralisation des échanges a été bien vendue aux militants péquistes. Il y eut quelques réticences, exprimées notamment par les ministres Yves Bérubé et Pierre Marois, mais dans l’ensemble l’idée a bien passé.
En plus de la volonté de désamorcer le chantage économique du fédéral, le contexte des années 1980 a été très favorable à ce changement de paradigme économique. Bien avant le New Labour et son influence sur les partis de centre-gauche, le régime Mitterrand en France a eu un impact assez déterminant. Le Parti socialiste a tôt fait de se convertir à la rigueur budgétaire tout en rompant son alliance politique avec le Parti communiste, au cours d’une période où les figures de proue de l’Occident étaient Ronald Reagan à Washington et Margaret Thatcher à Londres.
Realpolitik oblige, les péquistes ayant appris bien des choses de par leur exercice du pouvoir, il ne pouvait y avoir de réels affrontements internes sur cette question.
Une fenêtre s’est ensuite ouverte au niveau fédéral. Mulroney a gagné au départ grâce aux deux grands laissés pour compte du Canada libéral : l’ouest, en colère contre la nouvelle politique énergétique de Trudeau qui avait causé des pertes à l’Alberta, et bien sûr le Québec.
Mulroney souhaitait en quelque sorte récompenser ses clientèles électorales et liquider certains pans de l’héritage libéral, en plus de chercher un thème électoral payant pour sa réélection. Le projet d’accord de libre-échange semblait totalement s’harmoniser avec les multiples motivations des progressistes-conservateurs. Il y a également fort à parier que l’administration Reagan incitait fortement le gouvernement canadien pour qu’il s’engage sur cette voie. Il fallait donc que Mulroney profite également lui-même de la fenêtre qui était ouverte à Washington, et procède à la signature d’un accord de libre-échange la fin du mandat Reagan.
Mulroney en a donc fait son enjeu électoral majeur et a remporté une victoire assez éclatante sur les libéraux de John Turner et avec une forte députation en provenance du Québec.
Les souverainistes ont appuyé les troupes de Mulroney dans cette croisade. Jacques Parizeau venait alors de succéder à Pierre-Marc Johnson qui était, lui, un adversaire virulent au libre-échange.
D’ailleurs, au cours de cette campagne, Bernard Landry s’est muté en nouveau héros des milieux d’affaires traditionnellement fédéralistes donnant alors plus de 150 conférences devant eux. Il faut dire que l’arrivée d’un porte-parole provenant du milieu souverainiste et généralement associé au centre-gauche ne pouvait qu’ajouter au dynamisme de l’alliance libre-échangiste en diversifiant ses composantes.
L’Accord de libre-échange contiendra d’ailleurs, au grand bonheur des souverainistes, une clause selon laquelle tout territoire continue d’adhérer aux dispositions prévues dans le texte, même en cas de sécession.
Parizeau affirma d’ailleurs un jour que le débat sur le libre-échange était le plus important de l’histoire du Québec après celui de la souveraineté. Il n’avait pas tort considérant les transformations du paysage économique provoquées par une telle aventure.
Pour des formations telles que le Parti libéral ou le NPD, l’opposition au libre-échange n’était pas uniquement le résultat d’alliances avec les syndicats canadiens. La base ontarienne du PLC y était pour quelque chose : une plus grande intégration continentale signifie pour l’Ontario de réels risques d’une fuite importante des centres stratégiques – dont la fonction est la recherche et le développement. Dans une économie de succursales comme celle de l’Ontario, cela est des plus compréhensibles, si bien que Parizeau a déjà affirmé qu’il serait opposé au libre-échange s’il était ontarien. Chaque État a la politique de ses intérêts. Jean Chrétien promettra d’ailleurs en 1993 d’abolir l’Accord de libre-échange. Après son élection, il n’y a jamais donné suite.
La mondialisation et les années post-référendaires
Transportons-nous maintenant en 1995. L’histoire est connue : le 30 octobre 1995, la victoire échappe au camp du « oui » par quelques milliers de votes. Jacques Parizeau prononce la phrase que l’on sait sur l’argent et des votes ethniques. Les élites souverainistes sombrent dans une peur absolue du nationalisme culturel. Mais plus encore, c’est d’une nouvelle vocation idéologique dont avait besoin, selon ses dirigeants, le mouvement. Et, en cette deuxième moitié des années 1990, la mondialisation est triomphante et agitée comme étant la condition sine qua non de la modernité réelle d’une société. Dans le monde de l’après-guerre froide, on parle parfois même de « fin de l’histoire ». Pour les dirigeants péquistes, la mondialisation est un défi incontournable. Reste à voir comment cela a pu se traduire concrètement.
En 1996, le nouveau premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, se rend à New York. Il est alors littéralement terrorisé par les agences de cotation et par l’establishment économique canadien qui lui dressent un portrait accablant sur les états financiers de la province. La préservation de la cote de crédit du Québec est désormais pour lui le nouvel objectif principal dans le contexte de la mondialisation financière. Quelques mois plus tard s’est tenu le Sommet sur le développement économique où le cap fut mis sur l’objectif du « déficit zéro ».
Parallèlement à cela, en 1996, les dignitaires du régime libéral se réunissent et adoptent leur plan de riposte pour mettre au pas le gouvernement souverainiste de Lucien Bouchard. La manœuvre se décline en plusieurs volets : agitation du spectre de la partition du Québec, encadrement juridique (Loi sur la clarté), invasion idéologique (programme des commandites) et déstabilisation financière. Dans ce dernier cas, il s’agissait de réduire unilatéralement les transferts pour réutiliser les sommes dans des empiètements vendus comme étant bénéfiques pour le Québec, à l’instar du programme des Bourses du millénaire. On se rappellera également du détournement de la caisse d’assurance emploi et de la confiscation par Ottawa des surplus du gouvernement du Québec suite à l’atteinte de son déficit zéro.
Le Plan B des fédéraux impliquait également l’asphyxie de la politique diplomatique du Québec. Par exemple, en l’an 2000, à la suite des jeux de coulisse de l’ambassadeur du Canada au Mexique, Lucien Bouchard n’a pu finalement assister à la cérémonie d’assermentation du nouveau président mexicain même s’il avait été invité au départ. Ce n’était pas le premier incident de ce genre, car on avait empêché Bouchard de rencontrer le président mexicain précédent quelques années plus tôt, de même qu’au Panama et au Maghreb. Louise Beaudoin affirma d’ailleurs à ce moment-là qu’on ne pouvait parler d’évènements isolés, qu’il y avait bel et bien un « pattern » - pour reprendre son expression - derrière tout ça.
Lucien Bouchard a certes dénoncé les manœuvres « éhontées et discourtoises » d’Ottawa, mais son gouvernement aura eu au final une réponse bien apathique. On aurait pu s’attendre au développement unilatéral de relations extérieures fortes qui s’appuieraient sur le nécessaire rayonnement international du Québec. Bien au contraire, le gouvernement Bouchard a consenti à la légitimité diplomatique canadienne. Alors que le contexte de mondialisation aurait exigé la multiplication de nos représentations étrangères, les péquistes au pouvoir fermaient nos délégations à l’étranger – dont la création représentait un grand succès de la Révolution tranquille –, pour qu’au contraire les représentant-e-s du Québec n’aient droit qu’à une petite salle décorée d’unifoliés à l’intérieur des ambassades canadiennes. Certains diront que le PQ a alors failli à sa responsabilité historique.
Le contexte de la seconde moitié de la décennie 1990 en est un de changements profonds dans la division internationale du travail, alors que nous assistions à de grandes vagues de délocalisations et à l’émergence du Tiers-Monde. Le Canada, par exemple, a répondu aux flux mondiaux en se concentrant sur le développement du pétrole et des ressources naturelles. Le Québec devait aussi tirer son épingle du jeu devant un courant qu’il ne contrôlait pas. Notre intérêt national aurait alors dû logiquement nous dicter de nous concevoir un point de vue sur le monde et de développer une politique industrielle adéquate et une stratégie commerciale de diversification de nos partenaires. Comme nous l’avons vu précédemment, cela ne s’est pas fait à cause des manœuvres fédérales et – il faut le dire – de la mollesse péquiste.
En 1998, Jacques Parizeau tente de répondre à la vacuité existante en la matière avec la publication d’une plaquette intitulée Une bouteille à la mer ? Dans son petit livre, Parizeau voit dans l’expansion du commerce international une chance pour le Québec de profiter d’un développement avantageux à l’abri du cadre canadien. En cela, il poursuit sa logique libre-échangiste des années 1980 pour ouvrir de nouveaux marchés aux entreprises québécoises. Parizeau est également convaincu que le Québec inc. sera capable de cohésion dans l’atteinte d’un tel objectif.
Cependant, pour jouir pleinement des effets bénéfiques d’une telle aventure il faut s’y préparer. Le Québec ne jouit malheureusement pas d’une élite qui puisse adhérer à un projet qui la servirait à long terme. Pour s’assurer qu’une entrée dans la mondialisation ne conduise pas à la dissolution d’une petite économie – comme celle du Québec – dans un grand marché, il faut qu’il existe un consensus de l’intérêt national au sein de notre bourgeoisie d’affaires. Or, ce ne semble pas être le cas. Quatorze ans après la publication du livre de Parizeau, les leviers stratégiques nous permettant de définir nos objectifs nationaux et de concerter l’ensemble des forces économiques vives (Hydro Québec, Société générale de financement et Caisse de dépôt) sont plus menacés que jamais de dislocation. Aujourd’hui, certains n’hésitent pas d’ailleurs à y voir carrément la disparition pure et simple du Québec inc. Cela est fort regrettable de par le fait que la logique pourrait être inversée : plus le Québec inc. se développera, plus l’ouverture commerciale et la recherche de nouveaux marchés seront grandes, sans oublier que l’indépendance en elle-même imposerait le Québec de se doter d’une élite financière.
L’adhésion à la mondialisation n’a jamais vraiment été remise en question. L’autre grand libre-échangiste, Bernard Landry, a détenu le poste clé de ministre des Finances – lequel lui conférait l’autorité morale pour inscrire le PQ dans la posture de la mondialisation – avant de devenir lui-même chef du parti et premier ministre. Ironiquement, le grand libre-échangiste qu’il était n’a pas pu souhaiter à l'Assemblée nationale la bienvenue aux chefs d’État étrangers qui se réunissaient à l’occasion du Sommet de Québec en 2001. C’est le prix du statut provincial.
Après sa démission en 2005, aucun de ses successeurs n’a rouvert le débat sur la vision souverainiste de l’expérience globale.
« Un pays pour une mondialisation plus humaine »
La ligne mondialisante a aussi été doublée sur sa gauche lorsque le souverainisme officiel s’est converti à l’altermondialisme. Sous la direction de Gilles Duceppe, le Bloc québécois a créé, au tournant des années 2000, quatre grands chantiers visant à réorienter le programme souverainiste en l’inscrivant davantage dans une posture progressiste. L’un des quatre chantiers était consacré à la mondialisation et était présidé par Jacques Parizeau, tandis que la coordination de l’ensemble de la démarche était placée sous la responsabilité de Pierre Paquette – qui devint de facto l’acteur intellectuel principal de la transformation du discours bloquiste. Le nouvel axe qui allait émerger sur cette thématique était le suivant : la souveraineté nous permettra de siéger au concert des nations et ainsi de pouvoir travailler à l’avènement d’une mondialisation plus humaine, c’est-à-dire plus juste, plus équitable, plus sociale, plus écologique, etc.
Lors de l’Université d’été des jeunes souverainistes de 2010 organisée par le Forum jeunesse du Bloc québécois, un débat entre deux visions de la gauche s’est produit entre Amir Khadir et Pierre Paquette. Alors que le premier affirmait qu’il fallait rompre avec le modèle économique avant d’envisager la souveraineté, le second lui rétorquait qu’une telle rupture avec l’ordre financier n’était possible que par la souveraineté. Ces deux conceptions s’affrontent toujours aujourd’hui au sein de la gauche : le débat n’est pas ici entre la souveraineté comme moyen ou comme fin en-soi, mais entre la souveraineté comme moyen incontournable ou comme moyen éventuel. Cela témoigne, nous semble-t-il, d’un recul majeur qui emprisonne le mouvement souverainiste dans une logique expurgée de ses fondements de base.
L’argument de Pierre Paquette, selon lequel un siège dans les forums internationaux permettrait au Québec d’orienter le courant mondial en sa faveur, n’est pas exempt d’une certaine pensée magique. La construction d’une personnalité internationale liée au pouvoir de signer ses propres traités est évidemment une composante essentielle de l’indépendance nationale. Cependant, le Québec pourrait-il, à lui seul, inverser les flux mondiaux par sa simple présence aux tables de concertation ? La réponse semble aller d’elle-même. De plus, le Bloc québécois et Pierre Paquette ont négligé, tout comme Jacques Parizeau, les risques de dissolution du Québec inc. L’altermondialisme a dans tous les cas montré des signes indéniables de son essoufflement comme en a témoigné l’échec de la conférence des Nations unies nommée Rio+20, laquelle visait l’émergence du développement durable à l’échelle mondiale.
L’Histoire nous enseigne que les idéologies à vocation internationaliste ont toujours été vouées à l’échec.
Conclusion
Dans une telle mesure, on peut se poser dès lors la question fondamentale : Que faire ?
La polarisation est la suivante : voulons-nous, pour l’État québécois, plus ou moins de souveraineté ?
Pour les porte-étendards du projet de l’indépendance du Québec, la réponse devrait aller de soi. Pour des raisons identitaires, culturelles, économiques, politiques et sociales, le défi des indépendantistes devrait résider dans la reconstruction et la restitution de l’État nation.
L’enthousiasme du PQ envers le principe de l’intégration du commerce – qui offre effectivement des chances à nos entreprises – devrait céder le pas à une plus grande lucidité qui n’aurait des allures ni d’un rejet unilatéral ni d’un aveuglement volontaire. L’accroissement des pouvoirs des investisseurs étrangers et du seul secteur financier au détriment de l’action de nos institutions démocratiques n’est pas sans risques.
Si le libre-échange a effectivement comme vertu d’ouvrir de grands marchés à de petites nations, le risque de l’éclatement des cadres nationaux est bien réel dans la radicalisation des idéaux postmodernes de la mondialisation. Il faut éviter une prise en charge de la souveraineté des États par le capital ou par les organisations supranationales. Or, l’entente canado-européenne, dans sa forme actuelle, aurait notamment comme conséquence le recul de notre souveraineté nationale.
Même son de cloche en ce qui concerne la concurrence avec l’Inde : les bénéfices énoncés par Lisée d’un éventuel traité avec cette dernière ne sont certainement pas dénués de fondements, mais les effets pervers nous semblent négligés par ce dernier. Affronter économiquement un pays avec un capital-travail développé fort différemment du nôtre ne sera pas une mince tâche.
Et jamais auparavant dans l’histoire, le marché n’avait su s’émanciper autant de la responsabilité de l’État. L’ultralibéralisme se montre aujourd’hui paradoxalement sous son vrai jour, soit comme principal adversaire du libéralisme lui-même. Il peut en résulter de graves crises : chômage, délocalisations, désindustrialisation, etc.
Les débats de société concernant la taille de l’État, la place du privé dans l’économie et la fiscalité des entreprises sont parfaitement légitimes, mais doivent avoir lieu, pour éviter les pires dérives, au sein d’un État nation restitué qui rétablirait les références culturelles et historiques ainsi que leur unité et leur spécificité.
L’État nation est même le gardien de la démocratie et de l’harmonie sociale d’une collectivité. Le Québec doit néanmoins impérativement se doter d’une vision du monde et s’engager dans la voie de la construction territoriale des conditions d’une reconfiguration de son économie pour lui permettre de relever les défis mondiaux de l’avenir. Le capitalisme est assurément le meilleur des systèmes et il faut le défendre. Cependant, encore faut-il que sa forme entrepreneuriale, industrielle et populaire, celle qui permet à tous de réussir par la débrouillardise et le sens de l’initiative, ne soit pas avalée par un autre type de capitalisme, financier et dévoyé. Le danger de se fondre dans le moule du « village global » est pervers. Le défi de la mondialisation financière se saisit de deux manières : par des politiques, par un retour aux cadres nationaux et aux frontières protectrices, mais aussi par un travail intellectuel. La mondialisation financière est justifiée par une idéologie progressiste prônant la disparition des frontières, qu’on associe à des limites, un progressisme prônant l’avènement d’une citoyenneté mondiale. À gauche comme à droite, les partisans du « village global » se rejoignent dans leur rhétorique relevant de la modernité radicale.
Il faut donc leur opposer la nation, car en ce siècle encore jeune le principal défi moderne est celui de la défense de cette dernière.