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De la hantise de l'anglais !

Quel besoin si pressant, avez-vous de rimer
Et qui diantre vous pousse à vous faire anglaiser ?

Molière me pardonnera de parodier la fin de l’un de ses vers, mais il le fera d’autant plus que je me sens plutôt misanthrope à tenir ici un discours que plusieurs trouveront à contre-courant. Mais ils auront un tel jugement bien à tort, car mon propos n’est pas contre la grande utilité de connaître aujourd’hui la langue anglaise, mais plutôt de m’interroger sur la pertinence de la manière dont on en fait l’enseignement dans le réseau scolaire québécois.

Me voilà d’entrée de jeu forcé d’un aveu de non-agression envers la langue qu’on dit être celle de l’économie, en tout cas, celle que les parents jugent magique pour la réussite de leurs enfants. Et voilà que trop d’hommes et de femmes politiques opinent du bonnet devant cette manière de voir, trop souvent, hélas, par nécessité électorale. Je le dis d’autant plus volontiers que cette manière de voir n’est pas propre à tel parti politique plutôt qu’à tel autre. Comme dans la fable de Lafontaine, on peut dire de ces députés de toutes bannières qu’« Ils n’en mouraient pas tous, mais [que] tous étaient frappés ». À croire que l’on est presque revenu au temps où l’on disait « cultivé » quelqu’un qui détenait un diplôme bilingue ! On en est revenu aussi à enseigner volontiers l’anglais dès le premier cycle du cours primaire comme à l’époque où cette scolarité du primaire constituait la fin des études pour ceux qui deviendraient les « dish washers » et les « floor sweepers », comme le rappelle Miron dans ses « Notes sur le non-poème et le poème ». Il y a là une tolérance aberrante à céder aussi allègrement à un courant facile et mensonger.

Car s’il est vrai que la connaissance de l’anglais peut être utile, fort utile selon sa fonction sociale ou sa profession, la seule connaissance de cette langue ne donnera pas pour autant la compétence dans les divers champs de connaissance. Elle n’assurera pas non plus l’essentielle connaissance de la langue nationale – qui au Québec est le français – en quelque sorte une langue préalable, celle qui permet d’accéder à tous les savoirs. À ce titre, de voir certaines universités d’ici ou de France, se mettre à enseigner en anglais indique assez le peu d’estime qu’on a de ce que l’on est et de la grande et subtile langue française ! Entendez-vous souvent des personnages de la vie publique, hormis certains artistes ou enseignants de français, nous parler de la nécessité de mieux connaître la langue qui est la nôtre et de la bien parler, de la parler avec élégance, d’en découvrir le riche lexique ? N’êtes-vous pas frappés par une certaine langue française approximative parlée à la radio ou à la télévision, par certains élus de l’Assemblée nationale où l’on continue à « appeler » les lois et à « reconnaître » les députés ? C’est la même langue française approximative dont témoignent plusieurs témoins de la commission Charbonneau où l’on parle de contrats collusionnés, où l’on questionne des montants, où l’on enquête une situation, où l’on reçoit des argents... « Et voilà pourquoi votre fille est muette » !

Constat de relative réussite

Loin de faire une allergie à l’anglais, j’écris pour me demander ici si le réseau scolaire québécois permet d’acquérir une connaissance correcte de l’anglais, connaissance normalement sanctionnée après la secondaire 5. Dans la mesure où la réponse est non, il y a donc lieu de remettre en question notre pratique de l’enseignement de cette langue et son inscription dans le cursus scolaire. Pourquoi arriver à ce résultat qu’on dit médiocre après pas moins de onze années d’enseignement de cette langue, soit en quatrième, cinquième et sixième du cours primaire (j’exclus même ici la pratique de cet enseignement en première, deuxième et troisième année), durant les cinq années du cours secondaire et pendant les deux années du cours collégial ? C’est là assez reconnaître la faillite d’un tel enseignement si l’on tient compte du temps qu’on lui a attribué pendant onze ans. En plus, distiller ainsi cet enseignement, c’est comme dire à l’élève et à l’étudiant qu’ils ont bien du temps devant eux pour apprendre cette langue et encourager indirectement les apprenants à la procrastination. C’est aussi demander souvent à des enseignants de s’improviser professeurs d’anglais comme s’il suffisait d’être plus ou moins bilingue pour avoir la pédagogie adéquate à un tel enseignement.

C’est encore accorder à une seule langue, l’anglais, tout le temps dévolu dans le régime scolaire à l’apprentissage des langues. Tartiner de l’anglais pendant onze ans devrait à tout le moins former des bilingues réels ! Or, tel n’est pas le cas, ce qui revient à dire que beaucoup de temps d’enseignement scolaire a été doublement gaspillé : d’une part, par un tel résultat d’un enseignement dilué sur tant d’années et d’autre part parce qu’un tel enseignement inadéquat de l’anglais a accaparé la place de l’enseignement d’une troisième langue. En effet, l’on pourrait introduire l’enseignement d’une langue comme l’espagnol dans le deuxième cycle du cours primaire et accorder plus d’espace à l’enseignement de l’anglais au cours secondaire. Jusqu’à maintenant, tout ce que l’on a trouvé pour améliorer l’enseignement de l’anglais, ç’a été d’ajouter du temps d’apprentissage par les deux bouts du réseau scolaire : on a foutu de l’anglais dans les premières années du primaire, puis on l’a ajouté au collégial en tassant la philosophie. Remède de cheval, résultat inadéquat. Comment se fait-il qu’avec le même temps d’enseignement que nous accordons à l’anglais, certains pays d’Europe aient la possibilité d’en faire apprendre deux ?

Redonner au primaire ses priorités

De l’insertion heureuse de l’élève au cours primaire dépend souvent l’intérêt que l’enfant aura pour s’instruire et ne pas décrocher. On peut difficilement traverser aujourd’hui la vie sans, au minimum, obtenir un diplôme d’études secondaires. On a souvent rappelé à juste titre que le premier niveau d’enseignement, le cours primaire, servait à apprendre à lire et à écrire, puis à compter. Dans le réseau scolaire francophone, tout cela se fait par le truchement de la langue nationale qui est le français, un enseignement en quelque sorte préalable aux autres. Comment, par exemple, résoudre une équation mathématique si l’élève ne sait pas lire la donnée ? Comment dialoguer avec profit si l’on ne sait pas parler et écouter ?

Bien sûr, le cours primaire peut aussi comprendre quelques autres cours, notamment de civisme ou d’histoire, d’art ou de culture physique. Et si l’on y inclut l’enseignement des langues, je postule que celui de l’anglais ne devrait pas se faire à ce niveau. Les considérations que je faisais plus haut expliquent en partie ma suggestion : ne pas égrener cet enseignement sur plus de dix ans et fournir ultérieurement aux jeunes des enseignants d’anglais dont cet enseignement sera vraiment une spécialité.

Deux raisons supplémentaires m’inclinent à exclure l’enseignement de l’anglais du cours primaire : d’abord, je l’ai déjà dit, nous ne sommes plus au temps où le primaire était la fin de la scolarité d’une majorité de Québécois qui avaient alors avantage, surtout à Montréal, à savoir le plus d’anglais possible pour occuper de petits emplois mal rémunérés. Par ailleurs, la présence de l’anglais en continent nord-américain et en particulier à Montréal incite à une grande vigilance parce que deux langues n’y cohabitent pas, mais s’y affrontent toujours pour l’occupation du territoire : derrière un bilinguisme à la canadienne (« Parc Canada Park ») se cache toujours la menace de la diglossie, c’est-à-dire un état de transition où le bilinguisme n’est qu’un temps de passage vers l’unilinguisme de la langue qui domine. On sait laquelle. De toute façon, la vie quotidienne, en particulier dans la métropole et sur les ondes télévisuelles et radiophoniques, constitue une leçon continuelle d’apprentissage de l’anglais que l’on achète son lait, ses céréales, ses outils... La vie courante ne nous rend-elle pas témoins de l’influence de l’anglais sur le français par la présence de fréquents anglicismes : « la fille que je sors avec », « ça fait deux ans passés », « avez-vous été répond (ou répondu) » et même à l’Assemblée nationale quand un président de séance « reconnaît » un député, entendez « lui donne la parole » !

Fadaises, diront les émancipés qui voient mal que nous passions tous dans le tordeur du combat des langues !

Le bilinguisme officiel (je ne parle pas de celui des personnes, mais de celui de l’État) finit par nous conditionner. Pour illustrer cela, rappelons cette anecdote d’un grand pédagogue de la promotion du français, Gaston Miron, qui voyageait en auto un jour en France, agissant comme navigateur pour le poète Paul-Marie Lapointe qui conduisait. Arrivés à un pont, Miron crie à Lapointe : « Arrête, arrête ! » et Miron de sortir, d’aller sur le pont, de taper du pied pour en vérifier la solidité, puis de revenir à la voiture sous l’oeil sidéré de Lapointe à qui il affirme : « Tu comprends, je me demandais si c’était un vrai pont puisque ce n’était pas marqué “pont/bridge” ! » Autre anecdote dont la vie de Miron est cousue : prenant lors d’un premier voyage le métro à Paris, il découvre soudain que l’entrée peut se bloquer grâce à un « portillon ». Le poète découvre ainsi que le bilinguisme « porte/door » peut être réducteur puisqu’il nous empêche de découvrir la richesse d’une langue et de la famille des mots, en l’occurrence porte, portillon, portail, portique, porche...

Pour en revenir aux matières enseignées au primaire, on pourrait éventuellement favoriser l’apprentissage d’une autre langue que le français dans le deuxième cycle et qui pourrait être l’espagnol, une langue importante des Amériques. Ce choix, qui serait discutable au sud des États-Unis pour les mêmes raisons que l’enseignement de l’anglais au primaire au Québec, aurait l’avantage d’ouvrir des horizons aux jeunes et les préparerait à un apprentissage de l’anglais au secondaire.

Pouvoir apprendre l’anglais au secondaire

C’est donc au secondaire que l’on devrait inclure l’apprentissage de l’anglais dans les matières enseignées. Cela peut se faire raisonnablement sur cinq ans de sorte que l’étudiant diplômé de secondaire 5 sortirait avec une connaissance raisonnable de l’anglais (et une connaissance raisonnable du français chez les étudiants anglophones). D’une part, un début d’apprentissage de l’espagnol au primaire l’aurait ouvert à la diversité linguistique. Par ailleurs, l’étudiant bénéficierait d’enseignants spécialisés et le nombre d’heures consacrées à cet enseignement serait augmenté en proportion de ce qu’il occupait sensiblement dans la grille horaire au primaire. Je suis cependant tout à fait opposé à l’enseignement intensif de l’anglais pendant tout un semestre. Je dénoncerais même la pratique d’enseigner toutes les matières en anglais pendant ce semestre, ce qui contreviendrait même à la loi 101. De toute manière, cette pratique serait un complet reniement de soi. L’enseignement de l’anglais au secondaire vise à pouvoir comprendre l’anglais et à le parler. C’est à l’université qu’un étudiant peut choisir de continuer d’apprendre cette langue comme langue de culture et pas seulement comme langue de conversation.

Une hypothèse peu coûteuse et efficace : l’anglais en option non obligatoire

Il y a dans l’inconscient collectif québécois une résistance larvée à l’anglais, cela fait partie de notre histoire profonde. On aura beau vouloir « botter le derrière » à des récalcitrants, cela ne changera pas le substrat des Québécois. Aussi, je pense que le fait de rendre facultatif l’apprentissage de l’anglais au secondaire serait une mesure motivante pour celles et ceux qui le choisiraient. Un frein à l’apprentissage sauterait, la motivation étant fondamentale pour la réussite de l’apprenant. Soit dit entre nous, ce serait presque tous les étudiants qui choisiraient l’anglais parce qu’ils sont sensibles, croyons-le bien, aux grandes tendances de leur temps. Par ailleurs, ceux qui connaissent déjà cette langue pourraient en apprendre une autre comme l’espagnol ou parfaire une matière où ils sont plus faibles. Quant à ceux qui ne choisiraient pas l’anglais, ils devraient se qualifier en espagnol, une langue que l’école devrait offrir. De toute façon, pour être diplômés après secondaire 5, les étudiants devraient réussir le contrôle en anglais ou en espagnol. Ce double choix du réseau scolaire manifesterait d’ailleurs une grande ouverture de l’école québécoise au plurilinguisme plutôt qu’au bilinguisme. Le plurilinguisme cesserait d’être un voeu pieux. Notre réseau scolaire reconnaîtrait aussi que l’apprentissage d’une langue n’est pas forcément que scolaire et dégagerait l’emploi du temps de ceux qui connaissent déjà l’anglais.

Le discours électoral sur l’enseignement de l’anglais et des langues

D’une certaine façon, les hommes et les femmes politiques sont piégés quand ils doivent formuler une politique de l’enseignement de l’anglais. C’est comme s’ils devaient céder à la solution la plus facile, celle qui consiste à ne prendre comme balise que l’attente démesurée des parents qui croient dur comme fer que le succès de leur progéniture tient essentiellement à leur connaissance de l’anglais. De sorte qu’allonger le temps de son enseignement, faire de l’enseignement par immersion... sont généralement des propositions non seulement bien reçues, mais souhaitées. Il devient donc difficile de tenir un discours rationnel qui tienne compte de l’efficacité de l’enseignement de cette langue et de changer radicalement le niveau de scolarité où cet enseignement peut avantageusement être situé. Supprimer l’enseignement de l’anglais au primaire peut créer une levée de boucliers si une argumentation valable n’accompagne pas cette mesure. En fait, il faudrait presque créer des expériences pilotes (par classes plutôt que par écoles ou commissions scolaires), des expériences qui illustreraient que la réussite ne tient pas au nombre inconsidéré d’heures d’enseignement, mais au bon niveau de cet enseignement, par des professeurs spécialisés, à des étudiants dont la formation fondamentale aura été mieux maîtrisée au cours primaire... Ces expériences pourraient aussi illustrer qu’avec le même temps consacré antérieurement à l’enseignement de l’anglais sur dix ans, on arrive non seulement à de meilleurs résultats scolaires en anglais, mais qu’on peut de plus déjà posséder une connaissance valable de l’espagnol. De cette façon, les programmes des partis politiques pourraient parler du plurilinguisme de façon crédible. Il est important en effet qu’un État moderne fasse la promotion du plurilinguisme, car la connaissance de plusieurs langues chez ses citoyens permet autant d’ouvertures dans ses relations internationales. Si l’anglais peut être, pour un grand nombre, une langue pratique au quotidien, il ne peut se substituer à toutes les langues. Par exemple, si l’on veut entrer en relation avec toute l’Amérique latine, la connaissance de l’espagnol ou du portugais assoit plus solidement un rapport d’échange et de dialogue. La connaissance mutuelle solidifie des rapports économiques dont plusieurs sont d’ailleurs fondés sur la culture. Qui aurait pensé que les Chinois nous vendraient des personnages des crèches de Noël ? Ou que l’assistance aux devoirs et aux leçons pourrait se faire à partir de l’Inde pour des enfants québécois ?

Croire aussi que le français est une grande langue

Il importe aussi que l’école québécoise insiste auprès des élèves et des étudiants pour les sensibiliser à l’importance de la langue française dans le monde, une langue qui ouvre sur la France, la Belgique, la Suisse, l’Afrique, le Canada français... Il faudrait que le discours officiel consiste à affirmer que la connaissance du français au Québec est une condition sine qua non de réussite et d’épanouissement pour la réussite dans la vie. Quand Jean-Paul Desbiens a écrit en 1960 Les insolences du frère Untel, il a insisté pour que l’on fasse en sorte que tous les Québécois ayant rapport avec le public (élus, fonctionnaires, enseignants de toutes matières, avocats, journalistes...) aient un français sinon élégant du moins correct. Il insistait d’ailleurs sur le rôle de l’État qui doit faire les lois nécessaires, car disait-il la langue vaut bien une truite sur laquelle on légifère ! Camille Laurin, quant à lui, rappelait que le premier rempart du français et de sa loi 101 était la fierté de la parler pour chaque citoyen.

En résumé

J’ai somme toute fait ce petit essai pour secouer les puces à notre système de l’enseignement des langues. Si vous avez lu que je suis contre l’enseignement de l’anglais, je vous invite à me relire parce que j’ai plutôt plaidé pour que son enseignement soit efficace et qu’il n’empêche pas l’école québécoise d’enseigner une troisième langue.

Par ailleurs, j’ai insisté aussi sur l’importance du discours public à tenir sur la langue française, une langue qui appartient à tous les Québécois. J’ai appartenu moi-même, au Québec et dans le monde, à cette catégorie de citoyens qui s’en sont faits les défenseurs, puis les promoteurs. Le temps que j’y ai mis m’aurait même permis d’être polyglotte. Il ne faut pas prendre à la légère le fait qu’une langue peut disparaître, car les langues aussi sont mortelles. Il y a des spécialistes de ces questions-là, il faudrait peut-être les écouter. J’invite donc tous mes ex-collègues à continuer de demeurer les partisans de cette langue sur notre territoire, tout particulièrement à Montréal, et dans le monde. Car nous appartenons à la langue française, celle de Molière et de Miron, et la langue française nous appartient.

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