- Mai 2013
- Comptes rendus de Mai 2013
- Lucia Ferretti
L’histoire nationale à l’école québécoise. Félix Bouvier et al. (dir.)
Félix Bouvier, Michel Allard, Paul Aubin et Marie-Claude Larouche (dir.)
L’histoire nationale à l’école québécoise. Regards sur deux siècles d’enseignement, Sillery, Septentrion, 2012, 506 pages
Voici un livre qui raconte une histoire, celle de l’enseignement de l’histoire dans nos écoles depuis le début du XIXe siècle. Et au contraire de ce qu’on pourrait imaginer, ce ne sont pas seulement les enseignants d’histoire au primaire, au secondaire et au cégep qui y trouveront de quoi méditer, mais nous tous. Comment a-t-on construit et transmis notre histoire à l’école autrefois, et comment le fait-on de nos jours ? Dans la mesure où l’on est d’avis que connaître l’histoire est essentiel pour saisir et analyser les enjeux du présent, voici certainement une question tout à fait fondamentale.
J’insisterai moins sur tout un pan de la réflexion des auteurs qui concerne l’évolution des méthodes pédagogiques. On a un peu le souvenir que les cours d’histoire, « c’était seulement du par cœur, et apprendre des noms et des dates ». Or, depuis le XIXe siècle, on ne cesse pourtant de souligner l’insuffisance de la mémorisation et la nécessité de faire comprendre aux élèves le sens des événements. Toutes sortes de méthodes furent proposées dans ce but au fil du temps : utiliser des cartes et des images, faire rédiger des synthèses, ré-enseigner chaque année le même contenu en l’approfondissant, ajouter des leçons portant sur la vie quotidienne et les faits de civilisation plutôt que de se limiter à l’histoire politique et militaire, partir d’un problème contemporain ou d’une situation locale pour remonter à une perspective plus ancienne et plus large, demander aux élèves de faire leur propre recherche. Il est amusant de constater que ceux qui ont imposé l’actuelle « Réforme » n’ont pas innové tant que cela. Ils ont par contre réussi à faire passer l’histoire nationale d’une matière à une discipline. L’histoire n’est plus enseignée ni apprise pour elle-même, mais pour les compétences qu’elle permet de développer.
Mais revenons aux contenus. Et ici, une précaution : le livre est trop riche pour qu’on puisse en présenter toutes les facettes en quelques paragraphes. Je ne prétends donc pas fournir une vue d’ensemble de l’ouvrage. Plutôt, je présente simplement les éléments qui ont davantage retenu mon attention. Les auteurs poursuivent notamment une intéressante réflexion sur les raisons invoquées à chaque époque pour justifier l’enseignement de l’histoire nationale : proposer des héros, soutenir la conscience nationale, développer le sens critique, devenir meilleur citoyen, voilà quelques-uns des motifs les plus fréquemment soulignés. Et qu’on ne comprend pas de la même façon d’une époque à l’autre !
Il semble que les premiers enseignements de l’histoire du Canada aient été dispensés dans des écoles primaires dans les années 1820, et seulement au tournant des années 1840 au Séminaire de Québec (qui correspond à l’ordre secondaire). Le premier manuel date de 1831 et le premier programme de 1873. En cette époque si dense du point de vue de la lutte nationale des Canadiens français, le croirez-vous : le premier manuel d’histoire fut inspiré par un Britannique, du moins pour tout ce qui concerne la Conquête et le Régime anglais ! William Smith, fils du juge en chef de la colonie, avait écrit une History of Canada dans laquelle il trouvait providentielle la conquête du Canada par la Grande-Bretagne, se répandait sur la douceur et la magnanimité du conquérant et se félicitait des effets positifs d’un tel événement sur les conquis. L’auteur de notre premier manuel d’histoire, Joseph-François Perrault, reprit le tout à son compte. Ainsi naquit un mythe qui n’a pas encore fini de mourir. Car cette volonté de bonne-entente existe même dans le programme actuel, qui date de 2006. Elle s’est d’abord traduite par le refus pur et simple d’enseigner la Conquête. Devant le tollé qui s’en est suivi dans la société civile, l’événement fut remis au programme, mais dans un contexte où tout ce qui touchait la question nationale était désormais fortement atténué.
Une autre grande époque dans l’enseignement de l’histoire coïncide avec le retour de l’Union nationale au pouvoir à partir de 1944 ; elle se poursuit jusqu’à la réforme issue du rapport Parent. Depuis la fin du XIXe siècle, l’histoire à l’école s’était animée d’un souffle épique et teintée toujours davantage de catholicisme, comme le fait remarquer Paul Aubin. Mais c’est véritablement de 1948 à 1963 que le tout prend un essor considérable. Les communautés religieuses, grandes productrices de manuels depuis le milieu du XIXe siècle, ont été au sommet de leur influence dans les années 1920-1930, mais celle-ci continue de se faire sentir jusqu’aux années 1960. L’histoire nationale prend alors une couleur d’épopée canadienne et tourne autour de l’implantation d’un peuple français en Amérique, petit peuple qui traverse nombre d’épreuves, mais réussit à survivre et à se développer. L’enseignement de l’histoire a alors pour but « de faire connaître et aimer la Patrie ». On comprend que si certains souhaiteraient un manuel unique d’histoire du Canada « coast to coast », Lionel Groulx taille en pièces un tel projet, qui limerait trop à son avis les aspérités de la vérité. Il reviendra à la réforme de l’éducation des années 1960 d’imposer un programme unique, au moins à l’échelle du Québec, aux réseaux francophone et anglophone.
Sautons quelques années. De 1982 à 2007, le programme en vigueur n’a suscité que peu de critiques. Fondé sur les « temps forts » du passé québécois et canadien, désireux d’offrir une « perspective globale de l’histoire » et de faire saisir la « dimension pluraliste du passé », soucieux aussi de « développer l’aptitude de l’élève à interpréter objectivement les réalités historiques et à comprendre les réalités du milieu », il semble bien qu’on était alors parvenu à une vision équilibrée et rassembleuse de l’enseignement de l’histoire comme matière. C’est seulement depuis quelques années, en fait, que l’histoire nationale, au niveau secondaire, est subordonnée à l’éducation à la citoyenneté dans une perspective de dénationalisation.
Dans un article fort bien documenté, Gilles Laporte montre comment l’histoire nationale a été en quelque sorte un parent pauvre au moment de la création des cégeps. Exclue de la formation générale, soumise à la concurrence d’autres cours au choix, tributaire des embauches de professeurs et de leurs spécialités, le cours d’histoire nationale, en déclin continu, n’est plus suivi actuellement que par 5% des étudiants du niveau collégial ! Quant aux programmes du primaire, examinés par Marie-Claude Larouche, c’est à peine s’ils évoquent encore l’histoire…
Je m’en suis tenue ici à parler de la situation dans le réseau français. Les auteurs montrent bien que les anglophones du Québec ont longtemps considéré que leur histoire nationale, c’était celle du Canada anglais et de l’empire britannique. Au moment de la révolution tranquille, le ministère de l’Éducation a imposé un programme commun aux deux réseaux. Une seule différence a subsisté : sur quelques aspects du traitement de la Conquête ! Quant aux programmes enseignés aux Autochtones, Gabriel Arsenault leur consacre un chapitre très neuf. Depuis les années 1970, la plus grande autonomie scolaire dont jouissent les 55 communautés autochtones du Québec leur permet de s’approprier à leur façon l’histoire nationale. Elles peuvent le faire soit en appliquant le cursus du Québec, tout en l’adaptant ; soit en suivant celui d’une autre province ; soit en élaborant leur propre curriculum, qui doit cependant être approuvé par le MELS. Au collégial, les Autochtones de toutes les nations et communautés se sont dotés d’un cégep « à eux » comme le dit Arsenault : le cours de civilisation occidentale y est remplacé par deux cours en civilisation autochtone.
Bref, un ouvrage qui se lit presque comme un roman et révèle de manière bien objective notre difficulté séculaire à enseigner, diffuser et promouvoir notre histoire nationale.
Lucia Ferretti
Historienne, Université du Québec à Trois-Rivières