- Octobre 2016
- Comptes rendus d'Octobre 2016
- David Leroux
Christian Saint-Germain. Le mal du Québec
Christian Saint-Germain
Le mal du Québec. Désir de disparaître et passion de l’ignorance, Montréal, Éditions Liber, 2016, 144 pages
Le mal du Québec. À la lecture de ce titre, un verdict semble être tombé sur l’avenir de La Belle Province. L’auteur indépendantiste, philosophe et essayiste-provocateur Christian Saint-Germain ne nous a pas habitué à des essais politiques très convenus et « bon enfant ». Son essai précédent, un brillantissime pamphlet intitulé L’avenir du bluff québécois : la chute d’un peuple hors de l’histoire, tirait littéralement sur tout ce qui bougeait alors au sein de l’incarnation politique du mouvement indépendantiste. C’est donc avec une certaine hâte, dans le contexte d’une course au leadership pour le moins décevante, que j’ai empoigné Le mal du Québec : désir de disparaître et passion de l’ignorance.
Disons-le d’emblée : lire et apprécier un essai de Christian Saint-Germain n’est pas donné à tout le monde. Il faut d’abord être en mesure de partager sa colère jubilatoire et d’embrasser une critique d’une radicalité comme il s’en fait peu au sujet de ceux qui, depuis 1968, portent l’étendard du projet indépendantiste. Il faut surtout être indépendantiste avant d’être partisan, et c’est peut-être là la plus fondamentale leçon qu’a à nous apprendre sa plume acérée. C’était le cas dans son essai précédent et c’est encore le cas ici. Son plus récent ouvrage se divise en deux parties distinctes qui, tour à tour, attaquent les deux fers de lance principaux qui font vivre la pensée indépendantiste dans l’esprit collectif depuis maintenant plus de 40 ans. La première, « En finir avec le PQ », dresse impitoyablement le bûcher du Parti Québécois, et la seconde, « Le désir de disparaître », analyse en quoi les institutions de la société québécoise post Révolution Tranquille portent en elles-mêmes notre échec à naître. Le verdict est-il sans appel ? Oui, sans aucun doute. Notre cas est-il pour autant désespéré ? Non, mais seulement à condition de cesser d’entretenir toute illusion quant à l’efficacité de nos façons de faire et à la capacité du Parti Québécois à mener à bien le projet qu’il prétend porter.
En finir avec le PQ
En première partie du livre, le philosophe nous explique en quoi le Parti Québécois est, pour reprendre les termes du chroniqueur politique Claude Villeneuve, une « machine à perdre ». Comment procède-t-il pour nous expliquer son point de vue ? Très simplement : c’est la boucherie. Tout le monde y passe. Pas un acteur politique n’échappe à la moulinette déchaînée de Saint-Germain. De « l’ambitieuse comme un zona » Catherine Fournier à Nicolas Pee-Wee Herman Marceau le « lumineux uqàmien », en passant par Parizeau le déserteur colonisé, le lecteur qui réussit à envisager l’hypothèse que le Parti Québécois est possiblement le premier responsable de l’échec national dégustera la méchanceté savoureuse que nous donne à boire l’auteur de cet essai politique comme un élixir extrêmement revigorant. Les autres seront au mieux terrifiés, au pire dégoûtés.
Comprenons-nous bien. L’exercice n’a rien d’une étude objective et modérée du mouvement indépendantiste. Il est, de toute manière, totalement inutile et stérile de l’aborder ainsi. C’est l’art du pamphlet à son meilleur que nous donne à voir Saint-Germain, un art de plus en plus rare en ces temps où l’opinion est sans cesse aseptisée à grand coup de données et d’objectivité scientifique. À travers son écriture, c’est l’aspect persuasif de la méchanceté qui s’exprime. On ne sort pas indemne de la première moitié du Mal du Québec. Après s’être fait montrer en quoi, malgré les bonnes intentions, le Parti Québécois agit en parfait colonisé, auto-emberlificoté qu’il est dans le projet qui devrait le porter et qu’il devrait porter, après avoir ne serait-ce qu’entrebâillé la porte de notre esprit et admis que, malgré la grosseur de son propos, Saint-Germain a peut-être en main une part de vérité, notre vision politique partisane ne sera plus jamais la même. En ce sens, la première moitié du Mal du Québec est franchement réussie.
Le désir de disparaître
La seconde partie de l’ouvrage s’attaque à un autre grand symbole de l’émancipation québécoise. L’auteur nous y explique en quoi les institutions et politiques issues du Québec moderne sont symptomatiques de notre complète impuissance politique. Dressons une liste.
- Le culte du « chez nous c’est comme chez vous » (p. 69) et l’obsession anti-identitaire témoigne de notre incompréhension fondamentale de ce que les cultures nationales ont d’important pour la civilisation et de l’importance de protéger ces dernières.
- Le modèle québécois a servi à consacrer un État bourgeois incrusté du « syndicalisme d’habitude » (p. 77) des médecins. Cet État tolère maintenant que ces derniers deviennent impunément juges et partis quant à leurs conditions de travail.
- La réduction de l’idée que l’on se fait de notre survivance culturelle à des questions de langue d’affichage engendre une tendance à « disparaître par ignorance » (p. 83).
- On ne se préoccupe d’éducation que quand des « écoles de quartier depuis longtemps moisies tombent en ruine » (p. 95), et notre engagement envers-elles se limitent à faire des rondes citoyennes de type « feu feu joli feu » (p. 95) autour d’elles, main dans la main avec des « intervenants du milieu » qui s’outrent, susurrant aux médias des propos dépités en jargon subventionnaire pendant que, sur d’autres chaînes, des orthopédagogues mentionnent que nous sommes bien plus éduqués qu’à l’époque des écoles de rang et que donc, tout va très bien. Autrement dit, l’éducation est devenue une « problématique gestionnaire ». Cette mutation en dit long sur la formation des générations montantes et leur capacité future à s’incarner vigoureusement politiquement.
Les trois dernières sous-sections de l’essai de Saint-Germain sont sans aucun doute les plus poignantes et érigent le système de santé québécois en grande métaphore de la situation politique nationale. Le système de santé est dépeint comme se transformant en centre de gestion des « soins de mort » où le patient souhaite désormais « appartenir à une onde actuarielle et mourir comme tout le monde au moment exact où décèdent ceux qui se le sont vu annoncer par un sociopathe sélectionné pour sa cote R. » Nous consentons, à travers ce système, à être pris en charge et même à rêver d’une « fin normée – dernière station du réseau – organisée au centre du dispositif de distribution des médicaments » (p. 119), d’une « cérémonie d’adieux […] en institution, dans l’ambiance glauque du décès par overdose de phénobarbital ou de midazolam » (p. 119). C’est l’ultime métaphore politique qu’écrit-là Saint-Germain, celle qui montre un peuple agonisant à travers ce gigantesque éléphant législatif pan-canadien que sont les « soins de fin de vie. C’est l’image parfaite d’une nation rêvant de « la proverbiale injection de morphine » (p. 107) pour en finir avec elle-même « dans la dignité ».
Sommes-nous foutus ?
Après la jubilation qu’aura procuré cet essai fracassant au lecteur ayant su s’y ouvrir convenablement, une seule critique me vient en tête. Que propose Saint-Germain pour le Québec, outre démolir systématiquement tout ce que les nationalistes chérissent de lui depuis plus de 40 ans ? Il faut faire un certain effort pour le saisir, car l’auteur ne propose rien positivement pour alimenter quelqu’espoir que ce soit de nous sortir un jour du marasme purulent de cette médiocrité qu’il dépeint avec moult effets de manches tout au long de son essai. On ne peut, à ce stade, que supposer de la nature de ses positions plus positives en abordant son texte comme on regarderait un négatif de pellicule photo. On sait, à la lecture de ses positions vigoureuses et de son écriture plus que généreuse, que l’ombre d’un espoir l’habite, sans quoi, en homme raisonnable qu’on l’imagine, il ferait silence. On espère toutefois un troisième essai de sa part qui traiterait des conditions auxquelles nous pourrions, ensemble, espérer nous sortir de l’impasse. Sa contribution à la nation en serait alors décuplée.
David Leroux