- Avril-Mai 2014
- FAIRE FACE
- Robert Laplante
Éditorial - Pour une prochaine feuille de route
Nommer les choses, c’est construire le monde. Les mots portent, au moins autant qu’ils nous portent. Dire pays n’est pas innocent. Dire combat non plus. Le pays du Québec n’est ni un rêve ni une chimère, c’est un combat. À l’heure où trop d’esprits s’embrouillent devant la tournure des événements, il n’est pas inutile de rappeler, comme le faisait si admirablement Pierre Perrault, que la trame même de notre existence nationale se lit d’abord dans l’affrontement impitoyable pour « la conquête du territoire de l’âme ».
Penser la conjoncture nous fait d’abord l’obligation de bien choisir nos mots. Depuis toujours, notre existence nationale et notre aspiration à la liberté sont présentées comme des ambitions contraires à la Raison, à l’Histoire, à la Modernité, aux Valeurs universelles, à l’ordre des choses où le Canada nous place. Il est donc essentiel de revenir à la vérité élémentaire du langage : accepter de nommer l’indépendance comme un rêve, de laisser désigner les mobilisations inconstantes comme des fièvres passagères, c’est se voir et se définir dans l’œil et la rhétorique des adversaires. L’aspiration à l’indépendance, la volonté de vivre dans la plénitude de son être n’ont rien à voir avec les mouvements d’humeur épisodiques. Elles pointent et expriment une réalité existentielle, une nécessité vitale. L’indépendantisme ne renvoie pas à autre chose qu’à ce que nous sommes et voulons être.
Et nous sommes une nation en perpétuelle re-construction, un peuple à la recherche des voies de son émancipation. Un peuple qui refuse de se laisser réduire à l’état de minorité dépendante. Un peuple divisé contre lui-même également. Soumis à un régime qui produit des velléitaires heureux de s’accommoder des miettes qui tombent de la table des maîtres et toujours prêts à minimiser les pertes qui réduisent chaque jour davantage nos moyens. Un peuple littéralement assiégé par une engeance médiatique trop heureuse de servir ou de se laisser instrumentaliser dans le lexique que le régime souhaite nous voir adopter pour désespérer de nous-mêmes.
Il faut s’affranchir des discours dominant la sphère publique qui s’emploient à déréaliser notre condition, à saper le langage de la liberté en mettant des fleurs de rhétorique sur le carcan dans lequel nous tient le Canada. Et ce n’est pas mince affaire de les tenir à distance. Ils occupent un immense espace, distillent la médiocrité à faire du bruit entre deux commerciaux, mais n’en restent pas moins toxiques. Le complexe médiatique est tout entier charpenté sur une furieuse propension à l’autodénigrement, au mépris de soi et à la joie mauvaise de se rapetisser dans l’ombre des puissants qu’il vénère avec une prétention compensatoire. Les radios poubelles ne sont que la face gluante d’un univers médiatique dont la dernière campagne a laissé voir l’absolue indigence intellectuelle et l’inculture politique. Voilà longtemps qu’il est évident que se trouve là un immense obstacle qui jette une chape de plomb sur les catégories du débat politique et du combat pour l’indépendance. La campagne aura fait franchir le point de bascule : il n’est désormais plus possible de s’imaginer qu’il y aura moyen de faire avec, de composer avec ces machines à décérébrer où s’affairent des fantassins de l’insignifiance. Les alliances d’affaires et la culture professionnelle qui dominent le complexe médiatique dressent un formidable dispositif de détournement de sens. Il y a là un immense défi stratégique, rien ne sert de le cacher. Il faudra trouver les moyens de subvertir cet ordre. De saboter ses conditions d’efficacité pour en finir avec la pensée oblique qu’il dresse pour mieux masquer ses défilades.
Les détracteurs de l’indépendance soutiennent une position aberrante : nous serions le seul peuple au monde pour qui la minorisation serait la meilleure voie de développement. Nous serions mieux en phase avec le mouvement de l’Histoire en nous laissant gouverner par d’autres, en nous plaçant nous-mêmes à la merci d’une majorité qui s’organise sans nous, qui piétine ce que nous sommes et ne recule devant rien pour nous normaliser. Notre destinée serait meilleure si nous renoncions à définir nous-mêmes la société dans laquelle nous voulons vivre et construire l’avenir de nos enfants. Notre liberté ne serait pas une vraie affaire puisqu’à les entendre elle ne serait pas mieux servie que par le régime actuel, par le consentement à une tutelle qui ne peut paraître sans douleur qu’à la condition de s’administrer soi-même la sédation. Le Canada et ceux qui le servent nous proposent des accommodements raisonnables avec la soumission.
Ils ont beau faire des phrases sur le soi-disant mouvement souverainiste agonisant, lancer des prédictions sur la fin du délire des baby-boomers, faire semblant de réfléchir sur l’avenir du Parti québécois, les savants babilleurs n’ont rien à dire sur ce que nous réserverait, sur ce que nous donne déjà, le consentement à la politique provinciale et la participation satisfaite à l’ordre canadian. À l’horizon jovialiste, les experts du blogue à la petite semaine ne se rendent pas compte de la niaiserie qu’ils professent : un peuple ne régresse pas dans l’honneur et la dignité. Il n’y a nulle part d’exemple de nation niée qui ait trouvé son bonheur dans le déni qu’on lui fait subir. Ce n’est pas pour rien qu’il y a de plus en plus de peuples qui s’affranchissent et d’autres qui cherchent à le faire. Les Écossais, les Catalans, les Slovaques, les Tchèques et autres Slovènes seraient-ils donc aussi des peuples enfiévrés ? Pècheraient-ils donc eux aussi contre le mouvement de l’Histoire tel que l’incarne le modèle absolu du Canada pseudofédéral et multiculturel ? Et on entend déjà le bêlement des grands spécialistes de Radio-Canada nous dire que ce n’est pas pareil, que la comparaison ne tient pas, que la situation du Québec n’a rien à voir avec celle des autres peuples qui vivent pourtant, eux aussi, dans des régimes qui les tiennent à la merci de majorités étrangères.
Penser l’indépendance, c’est se penser dans le combat. C’est dire que c’est se penser devant ce qui lui fait obstacle : le régime dans lequel nous sommes enfermés et l’État canadian qui l’incarne. Les Québécois ont beaucoup de difficulté à s’imaginer que le Québec puisse avoir un adversaire. C’est le « syndrome Passe-Partout », le degré zéro de l’existence apolitique. Il faut bien concéder que le Parti québécois lui-même a en beaucoup souffert, avec cette recherche névrotique du consensus et son penchant velléitaire qui lui ont fait croire que l’indépendance se ferait sans rupture, à l’amiable, en quelque sorte, grâce aux bons offices des notables négociateurs qui sauraient tirer parti du fair-play canadian.
Une indépendance sans arrachement à soi-même et au vertige que donne le saut dans la liberté.
Une indépendance qui n’aurait qu’à s’exprimer doucement dans les termes acceptables pour le Canada afin que celui-ci se révèle enfin le grand pays que le Bloc québécois a si souvent salué, confondant génuflexion et combat diplomatique.
Une indépendance qui ne se gagnerait ni par le procès du régime ni par l’affrontement, mais par les vertus de la pratique du bon gouvernement et par les effets bénéfiques de la gestion provinciale qui suffirait à faire gagner ce peuple en maturité. Ce n’est pas la moindre des ironies de l’Histoire que d’avoir offert le spectacle d’un parti voué à l’affranchissement se laisser gagner par la torpeur confortable du bon-ententisme au point de ne plus être capable de porter la simple rhétorique de son projet dans un autre langage que celui que voulaient tolérer ses adversaires.
La dernière campagne électorale a porté à son paroxysme le refus de se penser dans l’adversité. Elle a consacré la mort de l’étapisme et révélé comme jamais le visage grimaçant de l’impuissance consentie à laquelle il a réduit le seul parti encore susceptible de porter l’action politique à l’échelle historique requise pour casser un pays du G8. Il faudra revenir sur les erreurs stratégiques qui ont conduit ses responsables et ses leaders à se laisser déporter dans l’insignifiance coupable. Voilà bientôt vingt ans que ce parti vogue de compromis hypocrite en rhétorique compensatoire pour se soustraire aux obligations de sa mission historique. La peur viscérale et la lâcheté qui ont conduit son chef à saboter la conjoncture de 1996 n’en ont pas fait qu’un raté de plus dans la longue liste des politiciens qui ont eu peur de notre peuple et de son combat, elles ont provoqué une dérive dont ils devront – lui et ceux-là qui ont partagé ses errements dans les cercles feutrés du bunker – répondre un jour. Les urnes ont déjà tranché. Les malheurs électoraux du Parti québécois ne sont que l’aboutissement d’une démission de notables affalés et de ceux-là seuls. L’instrument reste pertinent, sa mission première est toujours la seule possible pour construire notre espace politique.
Mais l’outil est à rénover en profondeur. Confisqué par des apparatchiks trop heureux de s’agiter dans les raisonnements courts des faiseux d’image et des découpeurs de segments de clientèle, ce qui reste de puissance militante à ce parti est encore assez fort pour espérer pouvoir en finir avec l’héritage empoisonné des conditions gagnantes et autres formules ronflantes pour fuir la dure réalité du combat. La limite de la décence est franchie : il est obscène en regard des exigences de notre lutte de continuer de s’imaginer être au pouvoir quand on gère la province de Québec. Ils étaient pathétiques à entendre ces grands combattants de la liberté qui tentaient de nous convaincre que c’est en se contentant des moyens que le Canada lui laisse que le Québec trouvera les voies de sa prospérité. Ils ne pouvaient même plus dire que le combat pour l’indépendance passe d’abord par le refus des contraintes de la province. Même au lendemain d’une bonne raclée plusieurs ne voient toujours pas que militer pour l’indépendance c’est tout mettre en œuvre pour mettre à mort la logique provinciale d’un impossible équilibre comptable.
Peut-on imaginer que cette campagne ait pu se dérouler sans qu’aucune récrimination n’ait été adressée à Ottawa ? De la part des inconditionnels du Canada, cela n’a rien d’étonnant. Mais que le PQ ou même la CAQ, si soucieuse de l’autonomie provinciale, soient restés silencieux devant le dépôt de la loi fédérale qui fixe les conditions de réalisation du pont Champlain, cela tient du plus crasse aveuglement volontaire. Et dire que le tout se déroulait sur fond de projet de port pétrolier à Cacouna et de tracé de pipeline décidé ailleurs, pour donner à l’Alberta plus de moyens pour nous traiter d’assistés. Le fédéralisme pétrolifère déferle et le Québec regarde ailleurs, quelque part dans les nuages de l’impuissance et de la dépossession. Sa conduite a beau paraître erratique, elle s’explique pourtant.
Voilà vingt ans que le gouvernement d’Ottawa mène une guerre psychologique et de propagande. Vingt ans qu’il dirige contre nous une formidable batterie de moyens pour éviter que ne se reproduise plus jamais la Grande Peur de 1995. Le Plan B n’était pas qu’une manœuvre passagère. Un puissant dispositif de destruction de la réalité nationale du Québec a été mis en place. La manœuvre s’est déployée sur le plan financier avec le projet explicite d’asphyxier le gouvernement provincial, de le faire souffrir comme l’a si ardemment souhaité Stéphane Dion. Elle s’est aussi déroulé sur le plan juridique avec le Clarity Bill et sa négation de notre droit à l’autodétermination et la mise en tutelle de l’Assemblée nationale. Enfin, elle a été complétée par la mise en place d’une politique de propagande conduite à coups de centaines de millions de dollars visant à normaliser le Québec, à le canadianiser de force.
La propagande aura tellement bien fonctionné qu’elle aura même réussi à faire paraître la commission Gomery pour une mesure d’assainissement alors qu’elle n’aura été qu’une opération de cover-up visant à faire diversion pour présenter comme bavure administrative ce qui aura été d’abord et avant tout une opération politique décidée au plus haut niveau. Jean Pelletier, le directeur de cabinet du sinistre Jean Chrétien, l’aura bien reconnu dans ses mémoires publiés après sa mort : la fin justifie les moyens, la raison d’État autorise Ottawa à tout mettre en œuvre pour préserver son unité. Le voyou Guitté a moins bien emballé les choses en déclarant devant la même commission que le programme des commandites se justifiait « parce qu’on était en guerre ».
Et le Canada n’a pas changé de position. Il mène une offensive savamment planifiée. Il lui faut briser le Québec, le réduire au rang de province inoffensive en minant ses moyens économiques et financiers et, surtout, en mobilisant toutes les ressources pour s’assurer du concours d’une cinquième colonne qui visera à casser la représentation que se fait d’elle-même la nation. Certains y consentiront candidement, d’autres le feront pour des motifs idéologiques, un grand nombre par pure prévarication, car il y a d’énormes bénéfices financiers, professionnels et de prestige à se laisser instrumentaliser dans ces manœuvres. L’effort est constant, il vise tous les milieux avec des moyens et des approches adaptés aux caractéristiques de chacun. Personne au Québec n’est à l’abri. L’offensive n’a jamais cessé, elle se déploie sur trois fronts.
Le brouillage des repères symboliques
Vient d’abord le brouillage des repères symboliques par le déploiement de tous les moyens de promotion du multiculturalisme. Il faut placer Radio-Canada au premier rang de ces moyens. C’est sa mission de préserver et promouvoir l’unité canadienne. Et la maison s’en acquitte fort bien. On l’aura vu à l’occasion du débat sur la charte. Mais cela se fait sournoisement chaque jour, par le choix des mots, par l’organisation de la programmation, par le recrutement des invités et commentateurs, par la mise en représentation du Québec comme réalité régionale et, de plus en plus, comme une communauté de communautés. C’est en grande partie à Radio-Canada qu’on doit ce barbarisme multiculturel que constitue l’expression de Québécois francophone, véritable calque du dédoublement identitaire que nous avons rejeté avec la notion de Canadien français. Ce barbarisme est un formidable instrument de consentement à notre propre minorisation. Il s’agit de la version identitaire du régime faussement dual de la Loi des langues officielles. On ne désigne pas une nation majoritaire par son neutre générique : il n’y a pas d’Anglais anglophone ou d’Allemand germanophone. Être Québécois, c’est parler français et participer de la culture en construction ici depuis quatre siècles, telle est la norme implicite de la loi 101 faisant de notre langue la seule langue officielle. Comme toute norme, elle définit également l’exception, c’est-à-dire qu’elle permet de reconnaître et nommer les Anglo-Québécois, les Italo-Québécois, etc. en les situant par rapport à la dynamique nationale. Se désigner comme francophone, c’est se désigner comme minoritaire de soi-même.
C’est cette façon de se nommer qui dresse l’arrière-plan des multiples initiatives de promotion du bilinguisme institutionnel, des initiatives légitimées par les chefs péquistes eux-mêmes qui s’adressent régulièrement aux Québécois dans un anglais – pitoyable de surcroît, la plupart du temps – qui vient confirmer le message subliminal de la soumission.
Le brouillage des repères vise l’ensemble de la dynamique identitaire. On en trouvera mille et un exemples dans toutes les périphrases et les formules de neutralisation qui ne nommeront que les « fromages d’ici » le « cinéma d’ici » et tous les autres « d’ici » possibles et imaginables pour éviter de les qualifier de québécois, pour entretenir l’ambiguïté et l’ambivalence de la référence culturelle. Ceux-là qui posent comme synonyme culture francophone et culture québécoise sont déjà pris dans les rets canadian. La confusion est entretenue, elle est induite par les normes de financement des programmes, par les énoncés de politiques, par la rhétorique de toutes les agences de l’État canadian et elle vise à imposer partout et en tout lieu, la représentation du minoritaire.
Frédéric Lacroix donne dans le présent dossier une description accablante des dégâts qu’aura faits ce brouillage dans la vie intellectuelle et dans le monde universitaire avec ces Chaires du Canada qui ont induit une pratique de mise en minorité dans l’institutionnalisation même des problématiques de recherche. Et dire que ce n’est là qu’un des moyens par lequel Ottawa a fait main basse sur l’orientation, le financement et l’organisation de la recherche. Et il faut lire ce qu’écrivent les recteurs des universités et autres Robert Lacroix de ce monde feutré pour se rendre compte de l’esprit de collaboration qui règne en ces engeances qui ne demandent pas mieux que de satelliser nos institutions au nom de la mondialisation et autres balivernes. La bilinguisation est en marche et ils en redemandent du soutien d’Ottawa.
L’usurpation de la mémoire
On l’a vu à l’occasion du quatre centième anniversaire de Québec, on le verra avec une fureur redoublée à l’occasion du trois cent soixante-quinzième anniversaire de Montréal, le Canada ne reculera devant aucun mensonge pour s’assurer d’occuper « le territoire de l’âme ». Les millions ont plu pour célébrer la guerre de 1812, pour s’assurer en France même du contrôle du récit mémoriel. Les ambassades travaillent assidûment à réécrire l’histoire avec le soutien de Patrimoine Canada qui déverse des millions et des millions sur internet, dans les groupes nationalistes canadian du Québec et d’ailleurs pour oblitérer dans toutes les institutions les signes de notre réalité nationale.
Il n’est pas de secteur qui ne fasse l’objet d’une confiscation de la mémoire. Les procédés sont parfois subtils et insidieux, mais le plus souvent grossiers comme cela aura été le cas dans le monde des musées. Le Canada avance à fond de train dans le nation building. Il faut d’ores et déjà s’attendre à une offensive de grande envergure pour la célébration du 150e anniversaire de la constitution de 1867. On a déjà entendu le nouveau président du Conseil des arts faire son plaidoyer pour que la culture soit de la fête. Il va pleuvoir des dollars sur « la culture d’ici » comme grand motif de fierté canadian.
Et ce ne sera pas que l’affaire du gouvernement Harper. Le processus a été lancé avec fureur par les libéraux au lendemain de 1995 et il ne s’arrêtera pas. C’est une dynamique qui mobilise toute la machine de l’État. Et qui mettra à contribution toutes les ressources du nationalisme canadian qui ne sera jamais soupçonné, lui, de fermeture au monde et de repli identitaire. Attention aux pubs de Tim Horton et de Canadian Tire ! Les Canadian se fabriquent un pays et ils vont nous le rentrer de force dans la mémoire comme dans le quotidien.
Le broyage de la capacité de cohésion nationale
C’est sa capacité de cohésion et son inventivité en matière de construction des institutions qui donnent à la différence québécoise sa force, sa fécondité et son élan. Pour normaliser la province, il faut utiliser le cadre et les moyens du régime pour éroder tout ce qui marque et creuse un écart significatif – c’est-à-dire efficace et dérangeant – par rapport aux priorités de même qu’aux façons de faire canadian. La tendance centralisatrice du régime vient ici se doubler d’un effort systématique pour envahir tous les domaines de compétence supposément réservés aux provinces pour mener un conflit permanent des priorités et susciter divisions et affrontements entre divers segments de la société québécoise.
C’est ainsi que dans tous les domaines où il y a dédoublement se multiplient les affrontements, ce qui a pour effet non seulement de réduire l’efficacité des choix québécois, mais de dresser partout des conflits de légitimité qui sèment la division. C’est particulièrement le cas en matière d’intégration des immigrants où la concurrence des modèles réduit l’initiative québécoise et dresse la guerre des langues comme un barrage de plus devant l’application de la loi 101 et les mesures de valorisation de la culture québécoise. Le financement et les modèles de soutien aux diverses organisations ethniques ne font pas que soutenir l’expression culturelle du multiculturalisme, ils développent des organisations qui sont autant de relais pour mener des politiques et programmes visant à imposer la suprématie des choix canadian sur ceux du Québec. On pourrait donner des centaines d’exemples dans le domaine de la culture et dans tous les autres.
Le choix de déstabilisation le plus récent concerne le soutien fiscal aux fonds de travailleurs. Malgré des appuis unanimes des milieux économiques, Ottawa a choisi de rester sourd. La manœuvre ne peut que réduire les moyens de ces instruments que le Québec a inventés et qui font l’envie de nombreux pays. Les fonds n’en mourront pas, c’est certain, mais Ottawa vient redire que ses choix priment ceux du Québec. Il jette du sable dans l’engrenage, c’est sa méthode, celle qu’il préfère quand il ne peut procéder directement pour jeter par terre ce qu’il vise. On a vu ce qu’il a fait en matière d’assurance-emploi et de formation de la main-d’œuvre : provoquer un immense gaspillage de ressources pour forcer un déplacement des priorités et donner un peu de lest ensuite pour donner l’impression qu’il s’ajuste. Les diverses dispositions affectant les organisations de travailleurs visent l’ensemble du mouvement syndical canadian, mais il faut être bien naïf pour s’imaginer qu’Ottawa ne considère pas comme un « irritant majeur » la puissance syndicale au Québec. Il est inutile de chercher bien loin pour trouver dans les milieux patronaux – massivement en faveur du statu quo canadian – et chez les partis d’inconditionnels du Canada des relais utiles pour chercher à affaiblir cette force et ramener la province dans les standards souhaités au Canada et dans le reste de l’Amérique. Il y a ici convergence des objectifs idéologiques ( néo-libéraux) et d’une politique anti-nationale cherchant à remodeler le champ des forces sociales du Québec.
Combinés aux manœuvres d’étranglement fiscal prévues au Plan B et visant à déstabiliser les finances publiques du Québec, les choix de politique économique viennent accroître aussi bien les inégalités et injustices de traitement que l’insécurité économique affectant des pans entiers de la société québécoise. On l’a vu en particulier dans le cas du soutien à l’industrie automobile ontarienne où Ottawa a injecté plus de dix milliards de dollars pendant qu’il n’octroyait que quelques dizaines de millions à l’industrie forestière québécoise. La mesure compromet la restructuration de ce secteur au Québec et laisse plusieurs régions dans un marasme économique qui perdure, provoquant insécurité et perte de confiance dans l’avenir. Et tout ça sans parler des choix de dépense en matière de renouvellement de la flotte maritime, des contrats militaires, des compressions dans les quelques instituts de recherche restants, etc.
L’action systématique conduite sur ces trois fronts produit un effet dépresseur certain. Elle sape la confiance en soi et mine les représentations de l’avenir. Relayées par un puissant complexe médiatique, les intrusions, exactions et simples mesures ordinaires de politique, concourent à jeter le Québec dans une morosité qui complique et rend plus difficile la mobilisation. Plus que jamais le Canada nous divise. Ses thuriféraires empoisonnent le climat social et se font les agents actifs – volontairement ou par docilité conformiste – de la destruction de la nation. La régression que le Canada tente de nous imposer sera globale : économique, culturelle, sociale, etc. Elle ne fera pas que des perdants, c’est entendu. Ottawa a toujours pris soin des barons ethniques canadiens-français et il sait très bien qu’il peut d’ores et déjà compter sur des « token Québécois francophones » trop heureux de se voir graviter en périphérie des cercles de pouvoir.
Il faut en prendre la pleine mesure, le combat national est entré dans une autre phase depuis 1995. Les tenants québécois du Canada n’ont plus aucun destin spécifique à proposer pour le Québec. La question nationale ne divise plus les opposants entre partisans de l’indépendance et tenants d’un quelconque statut spécifique pour le Québec dans le Canada. Depuis 1995, il n’y a plus – et ce n’est plus toléré – de revendications constitutionnelles spécifiques chez les fédéralistes. Ils sont devenus des inconditionnels du Canada. Rien, aucun statut diminué, aucune inégalité économique, aucune iniquité fiscale, aucune négation identitaire, ne les fera douter du Canada, ni même exiger quoi que ce soit de lui. La rupture est désormais consommée : leur loyauté première va au Canada. Ils sont Canadian first and foremost comme l’a si bien dit Daniel Johnson et comme en fait la preuve chaque jour qui passe un Philippe Couillard qui ne reculera devant rien pour se mériter le titre de Great Canadian en signant la constitution issue du coup d’État de 1982.
Pour la première fois depuis très longtemps – il faut sans doute remonter à la période de l’Union – le combat national a cessé d’être dialogique. Ce ne sont plus des Québécois qui débattent entre eux des meilleures voies de développement de la nation. Ce sont des Québécois qui s’opposent à des Canadians qui se définissent, se comportent et se rêvent comme une nouvelle communauté minoritaire dans le Canada multiculturel. Cette nouvelle communauté, pensent-ils, ne trouvera sa place et ne jouera pleinement son rôle que lorsqu’elle se sera elle-même dépouillée de ses aspirations nationales et qu’elle aura reconfiguré les institutions relevant de l’Assemblée nationale pour les placer dans l’orbite du gouvernement national canadian. C’est cette nouvelle donne que le mouvement indépendantiste doit désormais faire voir et comprendre dans l’espace politique québécois.
Le renouvellement obligé du Parti québécois le ramène aux fondements non seulement de son projet politique, mais à ceux de l’existence de la nation. C’est elle qui est sous assaut, de l’intérieur comme de l’extérieur, et il doit se repenser dans ce cadre de véritable tragédie existentielle. Il faudra qu’il le fasse dans un contexte idéologique qui sera loin de lui être favorable. D’un côté s’agiteront les sempiternels mous qui pensent qu’il y a encore moyen de moyenner. Ils seront particulièrement sensibles au travail de sape idéologique des adversaires qui n’auront de cesse de déclarer le combat périmé, l’approche incompatible avec les sensibilités post-modernes et autres balivernes fournissant autant de raison de baisser les bras et de se laisser porter par les événements, c’est-à-dire pour n’aller nulle part. De l’autre se coaliseront les forces canadian qui jubilent déjà à l’idée de porter l’assaut final et qui disposent de moyens faramineux pour nous réduire à l’insignifiance. Ils nous haïssent, nous détestent comme l’a dit Couillard dans un moment de vérité, et cette posture irrationnelle leur fera faire bien des bassesses. Et des erreurs. Dont il faudra profiter.
Pour ce faire, il faut d’ores et déjà s’atteler à une tâche cardinale : la critique radicale du régime, partout, toujours et dans toutes ses manifestations. Cela nous forcera à quitter le « syndrome Passe-Partout » et, du coup, à subir les atermoiements de nos propres alliés. Mais ce ne sera que temporaire – tous les manuels de stratégie nous l’enseignent – et se modifiera au fur et à mesure que nous reprendrons l’initiative que le mouvement national a perdue quand Lucien Bouchard s’est effondré. C’est là une tâche nécessaire, mais elle ne suffira pas.
Il faut profiter des quelques années que nous avons devant nous et du temps que le Parti québécois doit prendre pour retrouver ses marques pour se donner une nouvelle intelligence collective de la conjoncture et plus largement de notre destin national. Il est entendu que cela ne se fera pas d’un seul coup et que cela ne résultera que d’un large débat conduit dans tous les coins et recoins du mouvement. Les choses seront sans doute échevelées au départ, mais la rigueur et le sérieux de la démarche d’une direction, non seulement nouvelle, mais renouvelée, pourraient en canaliser l’énergie, en formaliser le propos et arriver à dresser une véritable feuille de route.
Réunir les conditions de convergence
Voilà vingt ans que le mouvement se disperse, exaspéré de la mollesse du Parti québécois et désespéré de l’avoir vu gaspiller la conjoncture post-référendaire. Cette dispersion a semé les germes d’un factionnalisme qui ne conduira nulle part et qui expose le mouvement à une grande vulnérabilité stratégique. Il faudrait vraiment sombrer dans l’angélisme pour ne pas voir dans cet éparpillement une occasion en or pour les forces de déstabilisation qui mobilisent d’ores déjà agents agitateurs et autres joyeux drilles qui nous font penser au bon vieux temps des groupuscules marxistes qui ont jeté tant de sable dans les engrenages en 1980.
Plusieurs initiatives ont eu cours – Nouveau Mouvement pour le Québec, Conseil de la souveraineté, États généraux de la souveraineté, Cap sur l’indépendance, pour ne nommer que celles-là – qui ont produit des contenus intéressants et fournissent des matériaux qui peuvent être utiles dans les prochains mois. Le manque de moyen, l’éparpillement et surtout la quasi totale indifférence, pour ne pas dire l’hostilité du Parti québécois, ont lourdement hypothéqué ces groupes et initiatives. C’est une situation qui ne peut pas durer. Il faudra fédérer les forces. Dans les circonstances, cela pourrait devoir se faire à l’occasion de la course à la direction du Parti québécois. La candidature qui sera la plus ouverte à le faire et qui aura l’envergure intellectuelle pour assumer les débats aussi nécessaires qu’inévitables pour venir à bout des résistances que le bri de confiance a littéralement rigidifié, méritera sans doute de se hisser à la hauteur de la mission historique requise.
Se donner une doctrine de l’intérêt national
Empêtré dans ses renoncements et perdu dans ses tergiversations, le Parti québécois s’est engouffré dans une impasse intellectuelle, celle qui l’a conduit à s’imaginer que le combat avait d’abord besoin d’un nouvel argumentaire. Il s’agissait là d’une faiblesse stratégique grave, qui restait totalement prisonnière de la rhétorique des adversaires qui insistent pour dire que l’indépendance n’est plus nécessaire à l’ère de la mondialisation, qu’elle n’est plus justifiée par l’infériorité économique, etc. Non seulement cette rhétorique est démentie par les faits – il y a de plus en plus de pays qui accèdent à l’indépendance et plus encore qui veulent y accéder –, mais elle repose sur une véritable ineptie : le combat pour la liberté et la liberté elle-même n’ont pas d’âge. Ce bavardage ne tient qu’à un raccourci idéologique insignifiant : ce n’est pas parce que les vendeuses chez Eaton ont cessé d’être racistes que le Québec a acquis la pleine maîtrise de son développement. Il reste une nation entravée. Notre peuple subit de plus en plus durement les choix que fait pour lui l’État canadian et cet assujettissement n’est en rien atténué par la politesse des managers de Bay Street ou d’ailleurs.
Cette chausse-trappe idéologique a fait plonger la très grande majorité des débats, y compris ceux-là que vient de lancer le résultat de l’élection. Tout ne serait qu’affaire de parlotte, les uns pensant qu’on ne parle pas assez de souveraineté, les autres estimant qu’il faut plutôt mettre la sourdine sur les discours de promotion. Tout cela est affligeant d’indigence intellectuelle, d’inculture et d’incompétence politique. Un combat politique avance d’abord par la pratique d’une politique, pas par la multiplication des discours. Félix Leclerc avait eu des paroles prémonitoires dans L’alouette en colère, parlant de ses fils « enfermés dans les temples de paroles ». Les envolées oratoires et les incantations peuvent sans doute faire une différence dans l’efficacité d’une mobilisation, mais elles ne sauraient en incarner l’essence.
Ce qui donne à une politique l’efficacité dans le combat, c’est sa capacité de faire voir l’intérêt national, sa capacité de l’incarner et de le traduire dans des projets concrets permettant à chacun de faire l’expérience (ou de l’entrevoir) d’un changement qui lui donnera la claire conscience de ses avantages aussi bien individuels que collectifs. Ce qui manque au mouvement national ce n’est pas un argumentaire, c’est une doctrine, un corps de propositions dont la cohérence définit les contours de ce qui est nécessaire à la vie de la nation et à l’invention de son avenir. Cette doctrine – un mot qui fera sans doute peur aux abonnés de la rectitude politique – fournira le cadre intellectuel et les concepts requis pour bien lire la situation nationale.
C’est une lecture partagée qui est le prérequis pour le combat et la mobilisation. Le brouillage des repères et les campagnes de propagande menées dans le cadre de la guerre psychologique visent à induire toutes sortes de distorsions dans la représentation de soi et dans la lecture de la situation. Les Québécois ne se voient plus, trop souvent, que dans les yeux des Autres, dans une espèce de télescopage jouant de la stimulation des vieux réflexes de colonisés et de l’instrumentalisation de l’anomie et du faux relativisme qui font le cœur de l’arsenal de guerre culturelle contre notre nation.
La délibération dans le mouvement national et, éventuellement, le contenu des propositions des aspirants à la direction doivent avoir pour ambition et objectif l’élaboration d’une telle doctrine de l’intérêt national. Il s’agit d’un instrument de référence duquel pourra éventuellement être tiré un ensemble d’argumentaires adaptés aux divers publics. Une telle doctrine doit faire voir clairement l’architecture du cadre de vie nationale que nous voulons. Il ne s’agit pas ici d’élaborer un grand projet de pays décrivant jusque dans ses moindres détails le choix des emblèmes ou la hauteur des panneaux de signalisation, mais bien d’un ensemble cohérent d’une vingtaine de propositions et de principes définissant ce que nous estimons comme essentiel à la vie et au développement de la nation. Cette doctrine doit se retrouver au cœur de la délibération nationale soutenue et animée par les militants. Elle doit être assez complète pour leur permettre de définir une lecture indépendantiste de la situation nationale dans la conjoncture présente certes, mais également dans les discussions entourant les projets de développement, les visions de l’avenir.
Redéfinir le travail de l’Opposition officielle
Une telle doctrine inspirant l’ensemble du mouvement et nullement réductible au programme du Parti québécois aura forcément un impact sur la façon dont doit être conduit le travail de l’Opposition à l’Assemblée nationale. Il est absurde qu’un parti voué à l’indépendance du Québec accepte de se laisser enfermer dans le cadre provincial pour intervenir dans les débats de l’Assemblée nationale. Il ne devrait jamais s’embarrasser du découpage des compétences imposé par le régime canadian. C’est la doctrine de l’intérêt national qui doit lui servir de cadre de référence. Les interventions doivent unir ce que la politique provinciale sépare, car cette dernière a précisément pour effet d’empêcher la lecture globale de notre situation nationale.
La politique étrangère, les questions militaires, les enjeux énergétiques, tout doit être examiné avec la grille de l’intérêt national. C’est un non-sens de débattre à l’Assemblée nationale en se soumettant aux découpages conçus pour nous rendre inoffensifs et pour nous forcer à intérioriser les contraintes. Le débat sur les finances publiques en est une pathétique illustration : qu’attend donc le Parti québécois pour discuter en prenant en compte le total des impôts que nous envoyons à Ottawa plutôt que de se perdre en contorsions comptables pour administrer le Québec avec les moyens que le Canada lui laisse ? À quoi sert de faire des phrases sur l’environnement si l’on ne remet pas en cause le fait que près d’un demi-milliard des impôts fédéraux que nous envoyons à Ottawa sert à subventionner l’industrie pétrolière ? Le fédéralisme pétrolifère s’apprête à soumettre toute la vallée du Saint-Laurent aux impératifs de l’exportation du pétrole sale et il faudra s’en tenir à un débat de juridiction ?
Un travail de recomposition des aspects de la politique que le régime sépare est essentiel à la recomposition des forces politiques. Il doit donc être porté dans toutes les institutions, dans tous les milieux, du conseil municipal à l’université, des centres de loisirs aux milieux économiques.
Revoir le cadre stratégique
La récente campagne électorale a capoté sur la question du sens du mandat sollicité par le gouvernement Marois. Le farfinage et les contorsions timorées des vingt dernières années ont connu un dénouement navrant, mais prévisible et inévitable. Il a suffi de l’épouvantail référendaire pour déstabiliser tout le monde, à commencer par la première ministre elle-même, littéralement incapable de recadrer les questions tendancieuses des journalistes ou les répliques convenues de Philippe Couillard. On la comprenait bien, il n’est pas possible de faire en quelques jours ce qui a été négligé, voire combattu pendant deux décennies.
Avec la Saison des idées qui s’est avérée une pure manœuvre de diversion pour occuper ses militants les plus vaillants, le Parti québécois a raté l’occasion qu’il avait de revoir son cadre stratégique. À la suite des déconvenues électorales du lamentable épisode André Boisclair, la relance ne s’est pas faite sur un exercice rigoureux, mais bien sur une thématique revampée de l’approche du bon gouvernement. Pauline Marois s’en est trouvée réduite à brandir la souveraineté comme un hochet avec les conséquences que l’on a vu. Le virage identitaire, nécessaire, mais si maladroitement conduit, ne pouvait répondre à la nécessité stratégique fondamentale de fournir une doctrine de l’intérêt national capable de donner sens à l’action électorale d’un parti indépendantiste. La mobilisation identitaire ne pouvait, tout au plus, que constituer un volet d’une action beaucoup plus systématique touchant l’ensemble d’un programme de gouvernement. Et ce qu’il aurait fallu faire obligeait à tenir une position claire sur une démarche de réalisation de l’option.
Prisonnier de son étapisme paralysant qui place un double verrou sur l’action d’un gouvernement du Parti québécois en faisant du référendum un moment inaugural, le PQ s’interdit de concilier l’approbation démocratique avec la conduite d’un programme de mise en œuvre d’une politique nationale. Il se condamne non seulement à se laisser à la merci des maîtres chanteurs d’Ottawa, mais encore et surtout à se perdre en vœux pieux et projets hypothétiques plutôt qu’en projets mobilisateurs définis sur l’intérêt national plutôt que sur la marge de manœuvre provinciale. Faisant du référendum un moment d’autorisation plutôt qu’un instrument de ratification, la position péquiste inverse en quelque sorte la portée de la consultation démocratique. L’indépendance doit se faire avec le soutien de la majorité de la population, cela va de soi. Mais la démonstration de sa nécessité doit se faire dans une mobilisation basée sur les actions d’un gouvernement qui incarne l’intérêt national dans les gestes mêmes que le régime interdit. Se refusant à transgresser, pire, en intériorisant les contraintes, un gouvernement du Parti québécois se condamne, au mieux à la parlotte, au pire à la gestion provinciale qui le déporte inévitablement dans les politiques de ses adversaires.
Une crise, dit-on, offre au moins autant de possibilités qu’elle ne dresse d’obstacle. Encore faut-il bien saisir la nature de la crise. La défaite électorale du Parti québécois lui a fait mal, mais, somme toute, elle n’aura été qu’un rappel. Un rappel qu’une mission historique ne s’acquitte pas dans la complaisance et sous la loi du moindre effort. La sanction des urnes aura été dure, mais elle n’en était pas moins méritée. Ce parti devra bien faire face à ses défis et refaire ce qu’il a tout fait pour ne pas faire depuis le référendum volé de 1995. Cela l’amènera certes à des débats exigeants qui vont certes poser des dilemmes cruels à plusieurs des politiciens de carrière qui y sévissent. Mais son nécessaire renouvellement reste d’abord et avant tout l’affaire de ses militants, de ceux qui y restent et de ceux qui l’ont déserté et qui doivent y revenir.
Il est temps de reprendre l’initiative et de monter à l’offensive. La feuille de route à peine évoquée et esquissée ici permettra de le faire. Et son efficacité dépendra entièrement de la bonne lecture de la crise nationale que nous traversons. Et cette crise, elle n’est pas d’abord définie par les vicissitudes du mouvement indépendantiste, mais bien essentiellement par la rupture qu’ont réalisée les inconditionnels du Canada. Ils œuvrent désormais à un projet radical, celui de nous faire régresser au statut de minoritaire consentant. Le régime canadian nous a d’ores et déjà enfermés dans une cage que ces inconditionnels voudraient désormais nous faire prendre pour notre maison. Ils ont capitulé.