De Montréal à Kyoto en passant par le Suroît ou comment faire perdre au Québec son leadership mondial en environnement

Avec la ratification à Montréal du protocole relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone et bénéficiant d’un bilan énergétique qui fait une large place aux énergies renouvelables, le Québec peut se targuer d’être dans le peloton de tête des nations industrialisées d’un point de vue des enjeux environnementaux globaux. C’est pourtant avec une détermination froidement mercantile que les dirigeants d’Hydro-Québec cherchent à changer de cap et à aliéner notre patrimoine aux besoins du marché énergétique nord-américain. Après avoir évité la prolifération de centrales nucléaires le long du Saint-Laurent, les Québécois souhaitent-ils vraiment se lancer dans les filières du gaz et du pétrole ?

Montréal, septembre 1987 : le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone a finalement été arrêté au Siège de l’Organisation de l’aviation civile internationale après une série de réunions et de négociations rigoureuses. Le Protocole est entré en vigueur à la date prévue, le 1er janvier 1989, après avoir été ratifié par 29 pays et la Communauté économique européenne. Il s’agissait là de la première entente internationale permettant de faire face à un défi global, celui de la détérioration de la couche d’ozone. Or, les discussions tenues à Montréal aboutirent à des résultats beaucoup plus importants que ceux escomptés dans un premier temps. Le trou dans la couche d’ozone a cessé de s’agrandir et le Québec s’est positionné majestueusement sur la carte de la diplomatie environnementale mondiale.

Forts de ce premier succès, c’est maintenant au réchauffement global de la planète que s’attaquent la communauté scientifique et les représentants des gouvernements nationaux. Le protocole de Kyoto est sur toutes les lèvres et il ne se passe pas une journée sans que les citoyens ne soient interpellés pour faire leur part. Le consensus sur Kyoto est sûrement moins fort que dans le cas du Protocole de Montréal, mais les enjeux sont colossaux. La menace pèse, les effets d’un réchauffement global commencent à se faire sentir. Encore une fois, la communauté scientifique est unanime : il faut agir avant qu’il ne soit trop tard !

Or, dans ce dossier, le Québec fait encore plutôt bonne figure. Bien sûr, c’est le Canada qui a négocié et ratifié l’entente, mais la population et le gouvernement du Québec ont joué un important rôle de contre-poids contre les provinces de l’Ouest qui s’y ont fortement opposées. Le bilan énergétique québécois présente plusieurs aspects positifs en ce qui concerne l’utilisation des énergies renouvelables, bien que l’inondation de vastes territoires par les réservoirs hydroélectriques ne soit pas sans générer des quantités importantes de gaz à effet de serre…

Fiers de cette situation, les Québécois sont en droit de s’attendre à ce que leurs dirigeants capitalisent sur cette force. On aurait pu s’attendre à ce que les projets énergétiques ne soient plus analysés simplement en fonction de leurs coûts économiques mais aussi de leurs coûts sociaux et environnementaux.

Le Québec et les engagements canadiens

Mais la logique gouvernementale est toute autre. On estime que la relative virginité québécoise en matière de gaz à effet de serre (GES) représente un potentiel à exploiter. Si les autres ont péché, c’est à eux d’expier ! Ils sont en haut de la moyenne des émissions, ils doivent baisser. Le Québec est en bas, il peu donc augmenter ses émissions. Non ?

La façon dont les efforts canadiens seront répartis entre les provinces n’est pas encore claire. Mais si on partage l’objectif de réduction de façon égale entre les provinces, cela pénalise les provinces qui ont déjà fait les bons choix, comme le Québec. Ici, nous avons depuis longtemps fait le choix de l’hydroélectricité. En Alberta, le gaz et le pétrole prennent un peu – pas mal – plus de place… Nous savons par exemple que la croissance des exportations de pétrole et de gaz naturel, principalement à destination des États-Unis, a contribué de manière significative à la croissance des émissions entre 1990 et 2001 (Inventaire canadien des gaz à effet de serre 1990-2001, Division des gaz à effet de serre, Environnement Canada. Août 2003).

Dans ce contexte, il ne serait pas équitable de demander au Québec le même effort qu’à l’Alberta. C’est là le sens de la présentation initiale du projet du Suroît par le gouvernement libéral du Québec. Logique : c’est aux provinces présentant des émissions importantes à faire l’effort. Nous, nous avons fait les bons choix, nous nous sommes tenus loin du gaz et du pétrole, alors, laissez-nous polluer à notre tour ! Résonnement tordu, certes, mais nous caricaturons à peine…

Or, les efforts collectifs requis pour atteindre les objectifs de Kyoto sont si importants qu’aucune province ne pourra y échapper. Ainsi, le Canada doit réduire ses émissions de 6 % par rapport aux niveaux de 1990. Comme les émissions de GES n’ont cessé d’augmenter, cela signifie qu’il devra réduire ses émissions d’environ 25 à 30 % par rapport à ses projections actuelles courantes pour l’an 2010 !

La réduction des émissions de GES exige une modification en profondeur des méthodes de production et d’utilisation de l’énergie et, dans une large mesure, des méthodes de transport des biens et des personnes. Le Québec peut saisir cette opportunité au vol en mettant en valeur son potentiel d’économies d’énergie, tout comme ses ressources renouvelables.

Les défis qu’il faudra relever pour réduire les émissions créeront des débouchés provenant de l’élaboration et de la diffusion de technologies qui permettront aux entreprises, à l’industrie et aux consommateurs d’utiliser moins d’énergie ou d’accéder à des formes d’énergie moins polluantes. Un nouveau marché mondial axé sur la distribution de produits efficace en matière énergétique et à base d’énergie renouvelable devrait s’ouvrir. Les centrales thermiques comme celle du Suroît représentent-elles un choix stratégique ?

Notre asservissement au marché énergétique américain

La motivation derrière les déconcertants efforts d’Hydro-Québec pour s’engager dans la filière du gaz se retrouve ailleurs. Les plus anciens d’entre nous se souviendrons peut-être des plans de notre société d’État pour se lancer dans le nucléaire. Gentilly I et Gentilly II ne devaient être que les précurseurs de toute une série de centrales se déployant le long du Saint-Laurent et qui allaient assurer le Québec d’une énergie propre, renouvelable et hautement rentable pour nous… et les Américains.

Aujourd’hui, ce même mirage financier, base de notre asservissement au marché continental, se déploie sous un nouveau jour : la filière du gaz. Les groupes environnementaux du Québec dénombrent actuellement pas moins de trois projets qui risquent d’être lancés dès 2004. Il y a le projet du Suroît, actuellement examiné par la Régie de l’énergie. Il y a aussi Bécancour, pour lequel TransCanada Energy attend l’autorisation du ministère de l’Environnement.

Le troisième projet évoqué est un appel d’offres pour 200 MW en cogénération. L’appel d’offres devait être lancé récemment, mais il a été retardé à une date indéterminée. Trois autres appels d’offres sont prévus, de 200 MW chacun, pour un total de 800 MW disponibles en 2013.

Pour André Bélisle, président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), « la haute direction d’Hydro-Québec ment à la population et aux représentants politiques lorsqu’elle déclare que la centrale du Suroît est une exception et qu’il est faux de parler de virage au gaz pour Hydro-Québec » M. Bélisle rappelle de plus que Hydro-Québec achèterait 90 % de l’électricité de la centrale au gaz de Bécancour. Hydro-Québec fait présentement fonctionner à plein régime la vieille centrale au mazout de Tracy. Hydro-Québec veut construire une centrale au charbon au Nouveau-Brunswick et entend exploiter des puits de gaz dans l’estuaire du Saint-Laurent.

Tout cela pour assurer la sécurité énergétique du Québec ? Outre la vente d’électricité sur le marché nord américain, se dessine aussi un autre type d’asservissement de nos ressources collectives pour des bénéfices bien discutables. Tant les auditions de la Régie de l’énergie que les plus récentes audiences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) viennent de mettre en lumière l’impact des grands projets industriels sur la demande d’électricité et… les émissions de gaz à effet de serre.

Ainsi, le rapport du BAPE sur la centrale dite de cogénération de Bécancour indique que « La commission constate qu’il existe un lien étroit entre les projets d’agrandissement d’alumineries et l’accélération de la croissance de la demande en électricité invoquée pour justifier la construction de nouvelles centrales thermiques au gaz naturel » comme celle de Bécancour.

« Compte tenu de la forte demande en électricité que les alumineries suscitent, des grandes quantités de gaz à effet de serre qu’elles émettent et du faible taux d’emploi qu’elles génèrent par rapport à leur consommation énergétique, la commission est d’avis que les projets d’agrandissement d’alumineries devraient être assujettis à la procédure d’évaluation environnementale et faire l’objet d’un débat public », ajoutent les commissaires.

La politique de développement industriel du Québec pourrait-elle s’harmoniser avec sa politique énergétique et celle sur les changements climatiques ? Peut-être les citoyens pourraient-ils enfin voir poindre un début de cohérence dans les orientations gouvernementales. C’est ce qu’exige la Coalition Québec vert Kyoto (CQVK) lorsqu’elle demande à Québec d’élargir les discussions et d’entamer un véritable débat public sur nos objectifs économiques, sociaux et environnementaux.

Les promoteurs se réunissent en vase clos avec des représentants d’Hydro-Québec et le ministre des Ressources naturelles, mais le gouvernement n’a toujours aucune politique en matière d’efficacité énergétique ni de plan d’action afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre », déplore Richard Gendron de l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), une des voix souvent entendues devant la Régie de l’énergie.

Les perspectives d’un Québec énergétique vert

Encore une fois, la logique productiviste – certains diront néo-libérale – s’impose comme seul et unique modèle de développement. Avec les conséquences que l’on sait en terme de réchauffement de la planète. D’aucuns se réjouiront du fait que nos balises démocratiques et la vigilance populaire ont permis de mettre à jour un imbroglio d’enjeux globaux, liés à des projets d’abord étudiés en cas par cas.

Le projet du Suroît, par sa grossière inconséquence et l’extraordinaire pied de nez qu’il représente aux efforts citoyens pour contrer l’effet de serre, s’est attiré la vindicte populaire. Nos dirigeants ont réussi le tour de force de mobiliser une opposition comme jamais il en avait été vécu chez nous dans un dossier environnemental.

Les suites de l’aventure du Suroît permettront-elles de débattre des choix énergétiques dans la perspective de Kyoto ? C’est en tout cas ce que souhaitent la cinquantaine d’organismes sociaux regroupés sous le parapluie de la Coalition Québec Vert Kyoto. En organisant diverses activités de mobilisation, dont le Forum Populaire Kyoto (à Montréal, le 29 mai prochain), la Coalition entend « permettre à tous les citoyens de s’exprimer dans un climat d’ouverture et de discussion.

Sous leur impulsion, le Québec saura-t-il gérer sa demande, réduire sa dépendance face aux énergies centralisées, réaliser son plein potentiel d’économies d’énergie, mettre en valeur ses ressources éoliennes ? C’est en tout cas là le vrai sens de l’opposition actuelle au projet du Suroît. De Montréal à Kyoto, la communauté internationale nous interpelle. Bien que notre air d’allée nous entraîne encore dans une toute autre direction, il n’est pas trop tard pour prendre le virage de Kyoto.

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