Une oeuvre toute entière vouée à conjurer le défaitisme

Présentation de l'écrivain Victor-Lévy Beaulieu à l'occasion du souper-conférence de L'Action nationale au Lion d'Or le 26 octobre 2012

2012souperFERRETTI600Bonsoir Madame L’Action nationale.

Bonsoir Monsieur Victor-Lévy Beaulieu.

Chers vous toutes et tous,

Laissez-moi d’abord vous dire que lorsque, mercredi matin, Denis Monière m’a demandé de présenter ce soir notre impressionnant invité, je me suis immédiatement exclamé : « À deux jours d’avis, tu n’y penses pas ». En fait, Denis n’a pas eu à beaucoup argumenter pour me convaincre d’accepter un tel honneur.

D’abord parce que j’aime Victor-Lévy Beaulieu, l’homme et l’œuvre. Aussi, parce que je me suis vite dit qu’un écrivain québécois de son envergure n’a pas réellement besoin de présentation, qu’il est certainement archiconnu dans une assemblée composée d’indépendantistes, à tout le moins de nationalistes, nécessairement amateurs de notre littérature nationale, cette haute expression de notre culture, fer de lance de notre combat pour l’indépendance.

Pour ma part, chaque fois que je lis de Victor-Lévy Beaulieu soit un roman, soit un essai, soit une œuvre dramatique ou même une lettre au Devoir, me revient infailliblement à l’esprit cette pensée de Pascal : « Il ne faut jamais avoir peur d’aller trop loin, car la vérité est au-delà ». Comment mieux aborder ma présentation qu’en soulignant d’emblée que c’est sa constante volonté de dépasser les limites qui caractérise Victor-Lévy Beaulieu, que cette démesure est au cœur de l’œuvre de l’écrivain, au cœur des entreprises de l’homme d’action, au cœur des déclarations du polémiste.

En fait, l’homme et l’œuvre sont inséparables. Parler de l’une, c’est faire connaître l’autre et inversement. Je me ferai donc plaisir en vous parlant surtout de l’œuvre. Audace s’il en est une, vu son immensité.

Pour une connaissance des faits saillants de sa vie, vous n’avez qu’à cliquer sur deux ou trois des nombreux sites internet qui lui sont consacrés. Je me limiterai donc à rappeler que Victor-Lévy Beaulieu est né en septembre 1945, à Saint-Paul-de-la-Croix, dans le Bas-Saint-Laurent. Il a fréquenté l’école primaire d’abord à Trois-Pistoles, puis à Montréal-Nord. Pendant dix ans, entre 1966 et 1976, il a travaillé comme journaliste dans divers hebdomadaires, quotidiens, revues et magazines, entre autres à La Presse, au Petit Journal, au Digest Éclair et à Maintenant. En 1970, il a gagné le prix Larousse-Hachette pour un essai de dix-huit pages consacré à Victor Hugo. Depuis, pas moins de 14 prix littéraires ont couronné ses ouvrages : le Grand Prix littéraire de la Ville de Montréal, pour Les grands-pères, en 1971 ; le prix du Gouverneur général, en 1974, pour Don Quichotte de la démanche ; en 1978, le prix Québec-Paris pour Monsieur Melville ; le grand prix du Québec Athanase-David, en 2001, et le prix Gilles-Corbeil, en 2011, pour ne mentionner que les plus prestigieux. Les deux derniers lui ont été attribués pour l’ensemble de son œuvre qui comprend, tous genres confondus, près de soixante titres, sans compter les œuvres pour le cinéma et la télévision, sans compter les lettres ouvertes publiées dans divers médias.

L’action de Victor-Lévy Beaulieu dans le milieu littéraire ne se limite cependant pas à la création d’œuvres, mais se déploie également dans l’édition. Plusieurs grands écrivains et écrivaines québécois lui doivent la parution de leurs œuvres. Enfin, est-il nécessaire de mentionner son engagement dans nos luttes politiques ?

Démesure vous disais-je.

Démesure qui se manifeste avant tout et de manière aussi magistrale qu’essentielle dans l’œuvre littéraire, dont je veux maintenant vous entretenir, en m’inspirant, après avoir réaménagé et raccourci le propos, de ce que j’ai écrit sur elle, notamment dans le numéro mai-juin 2007 de L’Action nationale, qui lui est entièrement consacré, puis dans le numéro avril-mai-juin 2010 du magazine littéraire Nuit blanche.

Les 10 000 pages et plus qui composent l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu témoignent de la stupéfiante urgence d’écrire dans laquelle il est constamment. Son père, déjà, s’étonnait de le voir travailler sans arrêt. Dans Monsieur Melville, l’écrivain s’explique ainsi ce que son père ne comprenait pas : « ce n’est pas le mouvement qui me porte à écrire et sans lequel je ne voudrais même plus être. Ce qui lui reste étranger, c’est la fureur que j’y mets ». Plusieurs années plus tard, à la sortie de son James Joyce, Victor Lévy Beaulieu confiera en entrevue qu’à vingt-deux ans, il considérait déjà l’écriture comme moyen de venir au monde, « de façonner dans la forge de mon âme la conscience incréée de ma race ». Il s’agit bien de cela en effet, d’une œuvre dont l’universalité réside dans la profondeur de son enracinement dans tout ce qui au cours des siècles de luttes menées pour notre survie a forgé l’identité québécoise.

Ainsi, on ne lit pas les œuvres de Victor-Lévy Beaulieu, quel qu’en soit le genre, seulement pour le plaisir de l’histoire qu’elle raconte, quand il s’agit d’un roman, non plus pour la seule joie de la connaissance, quand il s’agit d’un essai, pas même pour la jouissance continue de la prodigieuse originalité de la langue, d’une précision qui n’a d’égale que son ampleur. On lit l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu d’abord et avant tout pour la découverte et la prise en charge des enjeux qu’elle propose et dont elle débat constamment dans tous les titres qui la composent, enjeux multiples et divers, tous inextricablement liés au destin québécois. Il y a le désir obsessionnel de créer une mythologie québécoise fondatrice, projet de La grande tribu, ouvrage remis sur le métier pendant des décennies et enfin publié en 2008; il y a la plongée dans la mémoire ancestrale pour comprendre le présent et aller vers un avenir différent, un avenir libéré.

Œuvre qu’il forge dans une lutte permanente contre tout ce qui tend à entraver sa réalisation, liberté à conquérir dont le récit est le tissu même, la vie et l’écriture étant une seule et même substance, une seule et même existence. Lutte d’une violence inouïe dans la vie fantasmée, empreinte de tendresse dans la vie réelle, l’une et l’autre n’étant jamais complètement absente l’une de l’autre, comme en témoigne admirablement le long et terrible délire qu’est Don Quichotte de la démanche, récit qui met en scène l’homme et l’écrivain indissociables dans l’extrême vulnérabilité de l’être Victor-Lévy Beaulieu, dans son refus essentiel du compromis qui le confine à une solitude douloureuse, même quand il tente de s’en échapper.

Plongeant constamment dans les profondeurs abyssales de la complexité de l’être humain qui abrite le pire et le meilleur, Victor-Lévy Beaulieu en dévoile à chaque page les bêtises et l’intelligence, les lâchetés et le courage, les obscénités et la splendeur, les violences et la patience, les mesquineries et la bonté, les désespoirs et l’espérance, les limites et les dépassements, toutes les contradictions. Comme tous les écrivains essentiels, Victor-Lévy Beaulieu se prend en effet pour l’humanité entière, toutes ses possibilités et conditions d’existence habitant son imaginaire. D’où sa puissance à sonder mieux que personne les cœurs et les reins de tous les humains, d’où sa puissance à parler avec pénétration et admiration des autres géants de la littérature et avec tendresse des plus communs des mortels, même si Victor-Lévy Beaulieu ne parle toujours que de lui-même.

C’est une œuvre dure, implacable, pessimiste et pourtant généreuse, toujours ouverte sur l’espoir, parce qu’elle déborde de tendresse pour nos tribulations autant que pour nos victoires.

Selon ma compréhension de celle-ci, la tendresse est en effet au cœur de l’humanisme de l’œuvre beaulieusienne.

Une tendresse qui n’est toutefois pas un bon sentiment. Loin de là. Elle est une émotion imprévisible, fragile, souvent fugace, toujours l’enjeu crucial des conflits entre l’amour et la haine que se portent entre eux, les hommes, les femmes, les hommes et femmes, les époux, les parents et enfants, les voisins et les lointains. La tendresse dans l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu est l’enjeu de la quête du bonheur qui anime tous ses personnages, ainsi que nous tous et toutes.

Une quête infiniment infinie parce que son objet est inatteignable, la parfaite adéquation entre l’être vivant et son existence étant, par nature, impossible, puisqu’est impossible l’équilibre des acquiescements et des résistances à toutes les manifestations du désir.

Il ne s’agit donc pas pour Victor Lévy Beaulieu de déguiser en faux calumet de paix, en sermons sentimentaux, en sensibleries la soif d’exercer sa puissance de ressentiment contre ces empêchements à la réalisation du désir. Il s’agit au contraire de pousser la véhémence jusqu’à son extrême limite, de s’y enfermer pour mieux en sortir. La tendresse comme mouvement et vérité toujours à redéfinir, la tendresse comme quête de soi, comme don de soi. Tel est à mon avis, le ressort secret de cette œuvre qui va « de la ténèbre à la lumière », magnifique sous-titre d’un ouvrage de Pierre Laurendeau, intitulé Victor-Lévy Beaulieu en six temps, à paraître incessamment aux Presses de l’Université Laval et dont je recommande vivement la lecture à celles et ceux qui veulent entrer facilement, mais par la grande porte, c’est-à-dire la sienne propre, dans l’œuvre de notre écrivain.

Qui, peut-être, un jour remportera le Prix Nobel. Lauréat du Grand Prix littéraire de l’Almanach Beauchemin, au début des années 1960, on demanda à Victor Beaulieu – Lévy n’était pas encore là – quelle ambition littéraire il avait. « Être le premier Québécois à remporter le Nobel de la littérature », a-t-il répondu, sans hésiter.

Et pourquoi pas ?

Comme toutes les grandes œuvres, celle de Victor-Lévy Beaulieu est politique. Elle est née et s’est écrite tout du long dans l’émotion très violente d’un refus douloureux d’une réalité rapetissant son peuple et par ricochet lui-même, dans l’émotion très violente d’une tendresse infinie pour son peuple qu’il n’a cessé de vouloir devenir aussi grand qu’il l’est, malgré sa triste condition de peuple sans pays, de peuple manquant de mots, manquant de la puissance à même s’imaginer puissant. Une œuvre tout entière vouée à conjurer un défaitisme ancré dans l’os, à métamorphoser l’ignominieux en sublime, le manque en excès, la médiocrité en exploit, allant jusqu’à l’esthétisation de notre langage, oral et écrit, dans une tentative exorbitante d’enquébécoiser la langue française.

Une œuvre parfaitement originale, à nulle autre comparable, si ce n’est à celles tout aussi incomparables des Cervantès, Hugo, Joyce, Melville, qui toutes ont en commun de toucher les tréfonds de l’âme humaine.

Sur ce souhait de consécration, je vous cède la parole, cher Victor-Lévy Beaulieu.

Collections numériques (1917-2013)

action couv 1933Bibliothèque et Archives nationales du Québec a numérisé tous les numéros de L'Action française et de L'Action nationale depuis 1917.

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